Dispersion de micro-organismes : une loi pour les gouverner tous

Résultat scientifique

La dispersion des bactéries se déplaçant en environnement poreux obéit à une loi étonnamment simple et générique.

Références

Universal law for the dispersal of motile microorganisms in porous media,
T. Pietrangeli, R. Foffi, R. Stocker, C. Ybert, C. Cottin-Bizonne et F. Detcheverry,
Physical Review Letters, 134, 188303 – Publié le 9 Mai 2025.
Doi :10.1103/PhysRevLett.134.188303
Archives ouvertes : arXiv

La Terre est peuplée de micro-organismes nageurs, comme les bactéries, qui se déplacent en permanence. Leurs stratégies de nage sont différentes d’une espèce à l’autre mais parce qu’elles impliquent des réorientations dans des directions choisies aux hasard, ce sont toutes des « marches aléatoires ». Aux temps longs, ce mode de déplacement est diffusif : des bactéries initialement relâchées au même endroit se dispersent progressivement, tout comme le thé infusant dans une eau au repos. Cet étalement de la population, aussi appelé dispersion, est caractérisé quantitativement par un paramètre nommé « coefficient de diffusion ».

Environ un tiers des 1030 bactéries vivant aujourd’hui sur Terre évoluent dans des environnements poreux, c’est-à-dire constitués de cavités reliées les unes aux autres, et qu’on trouve aussi bien dans les sédiments, les sols ou les roches que dans la nourriture ou à l'intérieur du corps humain. Prédire la dispersion des bactéries dans ces milieux est donc un problème pertinent dans de nombreux contextes. Qu’il s’agisse d’une infection du corps humain ou de la contamination de nourriture ou d'aquifères, il est crucial pour élaborer des stratégies de lutte efficaces de connaître les coefficients de diffusion associés à la dissémination dans ces milieux poreux, ainsi que leur dépendance vis-à-vis des caractéristiques de chaque système. La difficulté, cependant, réside dans l'énorme diversité des situations rencontrées. Non seulement les bactéries présentent de nombreuses variantes dans leur stratégie de nage, mais il existe une myriade de milieux poreux, qui diffèrent par leur structure, leur morphologie et leurs tailles caractéristiques. Comment, compte tenu du nombre de paramètres gigantesques susceptibles de varier d’un système à l’autre, prédire la dispersion ? Existe-t-il un principe unificateur permettant de simplifier ce problème ?

Ces recherches ont été menées dans le laboratoire CNRS suivant :

 

  • Institut lumière matière (ILM, CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1)

La réponse, étonnamment simple, vient d’être donnée dans un travail impliquant le laboratoire iLM de Lyon et l’ETH de Zürich. Les chercheurs et chercheuses ont montré que la dispersion des bactéries en milieux poreux possède un caractère universel : quelle que soit la structure poreuse ou la stratégie de nage, la dispersion suit une loi générale, qui condense la diversité des situations en une relation mathématique unique. Pour arriver à cette conclusion, la première étape a consisté à simuler numériquement des bactéries se déplaçant en milieu poreux. En faisant tourner ses flagelles, une bactérie avance en ligne droite pendant une seconde environ avant de se réorienter brusquement dans une autre direction. Cette stratégie de nage est appelée "run-and-tumble" et il en existe, selon les espèces, de multiples variations, portant notamment sur la manière de se réorienter. Par ailleurs, lorsque la bactérie rencontre la paroi du milieu poreux, elle y reste bloquée, jusqu'au moment où une réorientation lui permet de repartir à nouveau dans le liquide. 

Figure : (a) Bactérie se déplaçant en milieu poreux. Sa stratégie de déplacement est de type « run-and-tumble », avec des réorientations soudaines et aléatoires. (b) Simulations de trajectoires bactériennes dans trois structures poreuses. (c) Courbe universelle de la dispersion en fonction du temps moyen de « run » : les points représentent 37 situations différentes, la courbe noire est la prédiction théorique.
Figure : (a) Bactérie se déplaçant en milieu poreux. Sa stratégie de déplacement est de type « run-and-tumble », avec des réorientations soudaines et aléatoires. (b) Simulations de trajectoires bactériennes dans trois structures poreuses. (c) Courbe universelle de la dispersion en fonction du temps moyen de « run » : les points représentent 37 situations différentes, la courbe noire est la prédiction théorique.

Les scientifiques ont considéré dans les simulations des structures poreuses très différentes : ordonnées ou désordonnées, avec des obstacles circulaires ou rectangulaires, de porosité basse ou haute, etc. À chaque fois, le coefficient de diffusion D a été mesuré en fonction du temps moyen τ de « run », c’est-à-dire du temps moyen entre deux événements (aléatoires) de réorientation de la bactérie. Dans tous les cas, la courbe D(τ) fait apparaitre un maximum. L'observation surprenante est que par une simple mise à l'échelle autour du maximum, la totalité des courbes, qui recouvre des dizaines de situations différentes, peut être superposée sur une seule courbe maîtresse, qui définit une loi universelle de dispersion. 

Quelle est l'origine de ce comportement générique ? La réponse a pu être donnée grâce à un modèle élémentaire, dans lequel la quantité cruciale est le temps moyen entre deux contacts successifs avec la paroi. De manière contre-intuitive, ce temps moyen ne dépend pas de la stratégie de déplacement, mais seulement de la longueur de corde moyenne de la structure. Cette propriété géométrique, appelée invariance de Cauchy, est ce qui rend la loi de dispersion universelle. 

Bien qu'inspirée par la nage des bactéries, la loi de dispersion est en fait pertinente pour une large classe de micro-organismes, avec des applications potentielles en écologie. Il reste à comprendre le phénomène de dispersion lorsque les déplacements des micro-organismes sont biaisés par un facteur extérieur, comme un écoulement du liquide ou un gradient chimique. Ces résultats viennent d’être publiés dans les Physical Review Letters.

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Contact

François Detcheverry
Chercheur au CNRS, Institut lumière matière
Communication CNRS Physique