Visualiser une jonction p-n dans le graphène dopé

Résultat scientifique

L’absence de gap dans la structure électronique du graphène constitue un frein important aux applications pour l’électronique du futur. Des physiciens et des physiciennes ont montré qu’il est cependant possible de réaliser de l’ingénierie de bandes, en contrôlant la distribution spatiale de dopants dans le graphène. Ils ont ainsi pu visualiser pour la première fois le profil d’une jonction électronique à l’échelle atomique, qui se révèle être ultrafine.

Le graphène, un feuillet d’atomes de carbone, possède des propriétés physiques uniques et prometteuses pour l’électronique du futur, notamment grâce à la très grande mobilité de ses électrons. La brique élémentaire des composants électroniques est la jonction p-n, qui consiste à mettre en contact deux parties d’un matériau avec des niveaux de dopages opposés, une partie riche en électrons et l’autre riche en trous. Un paramètre important est la largeur de la zone de transition à l’interface. Dans le graphène, lorsque cette largeur est ultrafine (moins de 20 nanomètres), les trajectoires électroniques sont collimatées par la jonction, comme la lumière au travers d’une lentille. Actuellement pour le graphène, ce type de jonctions est obtenu dans des géométries de type transistors à effet de champ, pour lesquelles le dopage se fait grâce à un champ électrique. La largeur de la zone de transition dépend alors de la géométrie du dispositif et ne permet pas d’atteindre le régime ultrafin. Une autre voie possible est l’insertion d’atomes de dopants dans le réseau atomique du graphène, dopage chimique analogue à celui des jonctions p-n des semi-conducteurs classiques. Des physiciens et physiciennes du laboratoire Matériaux et phénomènes quantiques (MPQ, CNRS/Université Paris Cité), du Service de physique de l’état condensé (SPEC, CEA / CNRS), en collaboration avec l’Université Technique du Danemark (DTU) ont mis au point une méthode permettant de réaliser des jonctions dans du graphène dopé par de l’azote, puis de visualiser et de mesurer pour la première fois leurs propriétés électroniques à l’échelle atomique. Leur résultats sont publiés dans la revue Advanced Functional Materials.

Dans cette expérience, le graphène est exposé à de l’azote atomique activé par une source plasma en utilisant comme masques des ilots constitués d’une seule couche de molécules de C60. Le choix de ces molécules a été guidé par leur composition chimique, le C60 étant constitué uniquement d’atomes de carbone hybridés sp², exactement comme le graphène. Ces molécules réagissent avec les atomes d’azote qui ne touchent plus le substrat, ainsi protégé. Une fois le C60 éliminé par chauffage, l’échantillon obtenu présente des zones peu dopées au milieu de zones plus fortement dopées, l’interface entre les deux constituant ainsi une jonction p-n dans le plan du graphène. En utilisant un microscope à effet tunnel, ces jonctions ont pu être visualisées avec une résolution atomique. Les mesures spectroscopiques réalisées localement avec le STM ont permis de mesurer le profil du dopage le long de la jonction ainsi que la largeur de la zone de transition. Cette largeur apparait être de 7 nanomètres environ, ce qui est bien en deçà des largeurs obtenues précédemment dans les dispositifs à effet de champ. Ces résultats sont corroborés par des calculs de structure électronique dans le cadre de la Théorie de la Fonctionnelle de la Densité (DFT). Ils montrent comment l’énergie du point de Dirac (point de contact entre la bande de valence et la bande de conduction dans le graphène) évolue spatialement de part et d’autre de la jonction. Cette évolution est en particulier liée à la propagation de la densité électronique des atomes d’azote dans le graphène.

Ces travaux constituent la première visualisation à l’échelle atomique de jonctions p-n dans du graphène dopé et ouvrent plusieurs perspectives. D’une part la largeur intrinsèque des jonctions p-n mesurée permet d’envisager la réalisation de structures utilisant des effets d’optique électronique pour focaliser ou guider les électrons. D’autre part, la méthode de masque par une monocouche moléculaire mise au point ouvre la possibilité d’étudier l’effet de la fonctionnalisation de surfaces par divers éléments autres que l’azote, sur divers matériaux, en mesurant les propriétés des zones fonctionnalisées et non fonctionnalisées avec une résolution à l’échelle atomique.

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Figure : À gauche, schéma représentant un ilot de molécules de C60 utilisé comme masque pour protéger le graphène lors du dopage par exposition à de l’azote activé par une source plasma.
À droite, en haut, image STM en 3D montrant une jonction dans le graphène avec un faible dopage à gauche et un fort dopage à droite. Chaque bosse sur l’image correspond à un atome d’azote substitué à du carbone. Les couleurs correspondant à la conductance locale indiquent l’évolution du dopage le long de la jonction (faible en jaune, fort en bleu).
À droite en bas, le profil expérimental du dopage (énergie du point de Dirac du graphène) le long de la jonction permet de mesurer la largeur de la zone de transition qui est de 6.6 nanomètres dans cet exemple.
Crédit : Jérôme Lagoute, MPQ (CNRS/Université Paris-Cité)

 

Références

Visualizing in-plane junctions in nitrogen-doped graphene. M. Bouatou, C. Chacon, A. Bach Lorentzen, H. T. Ngo, Y. Girard, V. Repain, A. Bellec, S. Rousset, M. Brandbyge, Y. J. Dappe, J. Lagoute, Advanced Functional Materials, paru le 08/09/2022
DOI : 10.1002/adfm.202208048

Contact

Jérôme Lagoute
Directeur de recherche au CNRS, Laboratoire matériaux et phénomènes quantiques
Yannick Dappe
Chargé de recherche au CNRS, Service de physique de l'état condensé (SPEC)
Communication CNRS Physique