Raphaël VoituriezDirecteur de recherche CNRS au Laboratoire Jean Perrin (LJP)
Raphaël Voituriez, un physicien sur la piste des cellules
Dans les tissus vivants, les cellules bougent, s’organisent, interagissent d’une manière en apparence erratique. Raphaël Voituriez, directeur de recherche CNRS au Laboratoire Jean Perrin (LJP, CNRS/Sorbonne Université), cherche les lois physiques à l’œuvre derrière ces comportements. Spécialiste des processus stochastiques, il conçoit des modèles capables de décrire les trajectoires de cellules immunitaires ou de comprendre les conditions qui favorisent – ou freinent – la migration de cellules cancéreuses. L’objectif est d’élaborer des modèles pour comprendre comment, à partir de règles physiques simples, émergent des comportements collectifs parfois inattendus. Au sein de l’équipe « Dynamique stochastique des systèmes vivants », ce théoricien place le dialogue avec la biologie expérimentale au cœur de sa démarche. Il explore ainsi l’interface entre physique fondamentale et sciences du vivant, où les équations découlent de questions concrètes, venues du comportement des cellules.
Comment une cellule se déplace-t-elle dans un organisme vivant ? Et surtout, peut-on quantifier ce déplacement, l’optimiser… ou le freiner ? À ces questions, Raphaël Voituriez, physicien théoricien spécialiste des processus stochastiques, apporte des réponses venues de la physique statistique hors d’équilibre. « Au sein de notre équipe, j’essaie de prédire, de façon quantitative, quel type de trajectoire une cellule adopte dans un organisme et comment cela peut aider à comprendre sa fonction ». Ses modèles s’inspirent de la marche aléatoire – le mouvement d’une particule se déplaçant au hasard – mais adaptés à des agents actifs : des cellules vivantes, capables de réagir à leur environnement.
Dans le cas des cellules immunitaires, qui patrouillent dans les tissus pour détecter une infection, son objectif est d’évaluer leur efficacité à explorer l’espace, à repérer les foyers d’agression, et à les atteindre rapidement. Avec son équipe, il a ainsi formalisé les notions de temps de recherche et d’optimisation du parcours.
Mais lorsqu’il s’intéresse aux cellules cancéreuses, c’est une logique inverse qui s’impose. L’enjeu devient alors d’empêcher leur migration. D’où l’étude récente des phénomènes collectifs : comment une colonie de cellules peut-elle « décider » de se mettre en mouvement et envahir des tissus ? « Nous nous demandons ce qui permet à une assemblée de cellules de décider d’un comportement, si une telle décision peut en fait résulter d'un ensemble de règles simples de physique qui va mener à l’émergence d’un mouvement collectif. »
Physicien théoricien inspiré par le vivant, Raphaël Voituriez incarne une génération de chercheurs qui font émerger des concepts nouveaux à partir des systèmes biologiques. Il s’intéresse désormais aux apports potentiels de l’apprentissage automatique, bien adapté à cette interface entre physique statistique et biologie, où les modèles génèrent une quantité croissante de données.
ERC Synergy grant 2022 : Impact des formes cellulaires sur les comportements et destins cellulaires (SHAPINCELLFATE)
L'environnement complexe des tissus vivants impose aux cellules qui le constituent des déformations importantes, notamment dans le contexte de la croissance tumorale. Ces changements de forme affectent fréquemment les cellules qui migrent, telles que les cellules immunitaires ou cancéreuses. Les mécanismes qui sous-tendent la réponse cellulaire à de grandes déformations et ses conséquences physiologiques et pathologiques à long terme restent largement inconnus. Le projet shapincellfate fait l'hypothèse que les cellules peuvent intégrer l’information des déformations successives d'amplitudes et de durées variées qu'elles subissent au cours de leur vie. Cette hypothèse implique l'existence d’effets mémoire qui non seulement codent l'histoire géométrique et mécanique des cellules, mais dictent également leur destin. Le projet shapincellfate propose de déterminer les mécanismes moléculaires et les principes physiques qui contrôlent ces effets de mémoire, et d'évaluer leur impact sur l'immunité et le cancer.