Premier diagramme de phase d’un supraconducteur à haute température critique par dopage électrostatique
En établissant le diagramme de phase du Bi2Sr2Ca1Cu2O8+x par la méthode du dopage électrostatique, des physiciens ont mis en évidence le comportement complexe de ce type de supraconducteurs, révélant une physique riche et nouvelle.
Le diagramme de phase d’un supraconducteur à haute température critique décrit sa résistance électrique en fonction de la température et de son degré de dopage. Ce diagramme est-il universel pour les différentes familles de supraconducteurs, et notamment le Bi2Sr2Ca1Cu2O8+x (BSCCO) ? Comment se présente-t-il pour les échantillons parfaitement bidimensionnels ? En variant le dopage dans des dispositifs ultra-minces de BSCCO par le biais d’une technique utilisant la mobilité des ions dans un substrat de verre, des physiciens ont répondu à ces questions.
Sans dopage, ces composés sont isolants et antiferromagnétiques (sans aimantation). Au fur et à mesure que le dopage augmente, l’antiferromagnétisme devient fluctuant et la supraconductivité émerge à basse température. Le dopage grandissant toujours, la température supraconductrice suit un « dôme », augmentant puis diminuant au-delà d’une valeur optimale. A température plus haute, l’état non-supraconducteur s’écarte de celui d’un métal habituel. A bas dopage, dans le régime dit de « pseudogap », la conductivité est faible. Autour du dopage optimal la conductivité de l’état non-supraconducteur (qualifié « d’étrange ») augmente, mais ne suit pas les variations attendues en fonction de la température. Seulement à très haut dopage, nous retrouvons un comportement métallique « normal ».
Pour étudier ces variations, le dopage est habituellement modifié en variant la quantité d’oxygène dans l’échantillon. Cette méthode introduit des défauts et peut même changer la structure cristalline, rendant difficile la distinction entre effets dus au dopage et ceux dus au désordre. Pour résoudre ces problèmes, une équipe de physiciens de l’Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (IMPMC, CNRS/Sorbonne Université/MNHN/IRD), en collaboration avec le WMIT (Garching) a utilisé le « dopage par charge d’espace ».
Pour cela, les chercheurs ont déposé des échantillons de 3 à 7 nanomètres d’épaisseur de BSCCO sur des substrats de verre avec des contacts électriques permettant de mesurer leurs propriétés électroniques. Ils ont ensuite créé une fine couche de charge variable à la surface du substrat de verre sous l’échantillon, permettant de le doper électro-statiquement et de mesurer ses propriétés de transport électronique, en fonction de la température et d’un champ magnétique extérieur.
L’analyse de ces mesures a permis d’établir pour la première fois le diagramme de phase du BSCCO bidimensionnel en fonction du dopage électrostatique, de la température et aussi du désordre. Alors que l’universalité de ce diagramme n’est pas mise en cause, dans le BSCCO bidimensionnel les frontières des phases de l’état non-supraconducteur convergent vers un point à température 0K (-273,15 °C), proche du dopage optimal de la supraconductivité. Ce point critique pourrait être lié à une transition de phase quantique, autrement dit un brusque changement de l’état fondamental du BSCCO à température nulle, contrairement aux transitions de phases classiques qui se produisent à température finie. Ces travaux sont publiés dans la revue Nature Communications.
En savoir plus
Comprehensive phase diagram of two-dimensional space charge doped Bi2Sr2Ca1Cu2O8+x
E. Sterpetti, J. Biscaras, A. Erb et A. Shukla
Nature Communications (2017) doi : 10.1038/s41467-017-02104
Informations complémentaires
Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (IMPMC, CNRS/Sorbonne Université/MNHN/IRD)