Portrait photo d'Ada Altieri
Ada Altieri © Frédéric Albert

Ada AltieriEnseignante-chercheuse Université Paris Cité, laboratoire Matière et Systèmes Complexes (MSC)

Médaille de bronze du CNRS

Ada Altieri, la physique du désordre au chevet des écosystèmes

Spécialiste de physique statistique, Ada Altieri est maîtresse de conférences à l’université Paris Cité, au sein du laboratoire Matière et Systèmes Complexes (MSC, CNRS / Université Paris Cité). Elle utilise des outils théoriques issus de l’étude des systèmes désordonnés — comme les verres de spin, les émulsions ou les colloïdes — pour explorer, entre autres, les dynamiques hors équilibre et les comportements collectifs du vivant. Ces travaux ont ainsi montré que certains écosystèmes modèles peuvent connaître des points de bascule : sous l’effet d’une perturbation ou d’un renforcement des interactions, ils passent d’un régime simple et assez prévisible, marqué par un équilibre unique, à un état caractérisé par la coexistence d’équilibres multiples ou d’attracteurs chaotiques. Une transition comparable à celle qui mène, dans les verres, d’un état fluide à un état amorphe. Elle propose aussi un modèle de croissance « sous-linéaire » qui explique pourquoi une plus grande diversité d’espèces peut renforcer la stabilité écologique — une observation empirique que les modèles classiques ne parvenaient pas à justifier.

Formée en physique théorique à l’Université de Rome La Sapienza, ancienne élève du prix Nobel Giorgio Parisi, Ada Altieri soutient en 2018 une thèse de doctorat en cotutelle avec l’Université Paris-Saclay, consacrée aux systèmes vitreux et désordonnés. Elle y étudie comment des matériaux complexes évoluent lorsqu’ils se figent dans des états sans ordre apparent. En 2020, elle rejoint le laboratoire Matière et Systèmes Complexes de l’université Paris Cité, où elle développe une recherche à l’interface entre physique statistique, matrices aléatoires et écologie théorique.

En écologie, on dispose de données expérimentales de plus en plus sophistiquées mais il manque un cadre théorique solide pour les relier. C’est ce que j’essaie de construire.
Ada Altieri

Elle transpose les concepts de la matière condensée au vivant, en modélisant des écosystèmes hétérogènes où interagissent un grand nombre d’espèces. Dans ce cadre, elle montre qu’un écosystème peut passer d’un régime où les dynamiques des espèces convergent vers un état stable, à un autre où coexistent plusieurs équilibres, dépendant des conditions initiales ou des perturbations extérieures. Cette transition, directement inspirée de la physique des verres, offre une nouvelle compréhension des points de bascule écologiques. « On cherche à identifier des indicateurs mathématiques capables de signaler qu’un écosystème est en train de changer de régime, comme on le fait en physique pour détecter une transition de phase. »

Elle propose également un modèle de croissance « sous-linéaire » fondé sur l’analyse de données empiriques issues d’écosystèmes allant du phytoplancton aux mammifères. Ce modèle contredit les hypothèses de croissance logistique qui suppose que chaque espèce croît rapidement lorsque sa population est faible, puis ralentit à mesure qu’elle approche d’un seuil de saturation, imposé par l’environnement. Elle montre au contraire qu’un ralentissement du taux de croissance - c’est-à-dire une dépendance du taux de croissance à la biomasse modulée par un exposant inférieur à 1 - favorise la coexistence et la résilience des espèces. « Avec ce type de dynamique, plus un écosystème est diversifié, plus il devient stable face aux perturbations ». 

Ce qui me passionne avant tout, c’est la quête de symétries et de structures souvent insoupçonnées qui émergent à l’intersection de disciplines variées — des connexions à la fois mathématiques et phénoménologiques qui défient parfois l’intuition.
Ada Altieri

Ada Altieri applique désormais ces approches, formalisées par des équations différentielles dites de Lotka-Volterra généraliséesaux communautés microbiennes intestinales. En collaboration avec des gastro-entérologues, elle développe des indicateurs quantitatifs capables de distinguer les propriétés bactériennes macroscopiques associées à certaines pathologies chroniques, comme la maladie de Crohn. Elle poursuit ainsi sa recherche à la frontière entre physique fondamentale et biologie des systèmes.