Vision artistique du contrôle magnétoélectrique de textures de spin antiferromagnétiques (petites doubles flèches colorées) par les domaines ferroélectriques concentriques (flèches blanches) © V. Garcia

Vers une spintronique ultrarapide et économe en énergie

Résultat scientifique

Des objets topologiques antiferromagnétiques sont stabilisés dans des nanostructures multiferroïques par le biais d’un couplage magnétoélectrique avec des domaines concentriques ferroélectriques.

Les skyrmions sont des enroulements de spins que leur topologie rend stables à l’échelle nanométrique. Ils sont donc considérés comme le bit magnétique ultime pour le stockage de l’information à l’ère du big data. Ce type d’entité a été observé et manipulé dans la dernière décennie au sein de matériaux ferromagnétiques, dont la dynamique intrinsèque est celle du GHz (109 Hz). Il existe un autre type de matériaux magnétiques, dans lesquels les deux sous-réseaux de spin sont antiparallèles : ce sont les antiferromagnétiques dont la dynamique intrinsèque est quant à elle environ 1000 fois plus rapide, dans la gamme du THz (1012 Hz). La stabilisation et la manipulation de skyrmions antiferromagnétiques laisse entrevoir donc la perspective d’une spintronique ultrarapide. Néanmoins, créer et annihiler électriquement des skyrmions antiferromagnétiques constitue un incroyable défi, étant donnée l’immunité de ces matériaux vis-à-vis des perturbations magnétiques externes.

Suivant une approche originale, des chercheurs et chercheuses du Laboratoire Albert Fert (CNRS / Thales / Université Paris-Saclay) ont stabilisé et commuté à température ambiante des entités topologiques antiferromagnétiques, dans une étude menée en collaboration avec le Service de Physique de l’Etat Condensé (SPEC, CEA / CNRS / Université Paris-Saclay), le laboratoire Charles Coulomb (L2C, CNRS / Université de Montpellier), le laboratoire Structure, Propriétés et Modélisation des Solides (SPMS, CNRS / Centralesupélec / Université Paris-Saclay) et l’Institute of Physics, Academy of Sciences of the Czech Republic (République Tchèque).

Pour ce faire, ils ont utilisé le couplage entre l’ordre ferroélectrique (associé aux répartitions de charges de signes opposés dans le matériau) et l’ordre antiferromagnétique (associé aux moments magnétiques alternés à l’échelle du réseau cristallin du solide) dans un matériau très particulier, qualifié de multiferroïque. En effet, la ferrite de bismuth (BiFeO3) est un composé dont on peut commuter la polarisation ferroélectrique par un champ électrique, mais également un matériau abritant un ordre antiferromagnétique non colinéaire (cycloïde de spin). Le contrôle des domaines ferroélectriques permet un contrôle déterministe des domaines antiferromagnétiques par couplage magnétoélectrique. Dans des nanodispositifs permettant l’application d’un champ électrique radial, le paysage ferroélectrique peut être commuté d’une configuration à quatre quadrants ferroélectriques convergente à divergente (voir figure), stabilisant ainsi des monopoles électriques. Le couplage avec les textures de spin produit des entités antiferromagnétiques distinctes selon la polarité du monopole électrique.

Un avantage majeur de cette approche à base de matériaux multiferroïques est qu’il est possible de commuter les entités antiferromagnétiques par l’intermédiaire d’une impulsion de tension, l’information encodée étant alors non-volatile. En principe, la manipulation ultrarapide de l’information est donc très peu consommatrice d’énergie. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Materials.

Illustration Garcia
Figure : Vision artistique du contrôle magnétoélectrique de textures de spin antiferromagnétiques (petites doubles flèches colorées) par les domaines ferroélectriques concentriques (flèches blanches) © V. Garcia.

Référence

Electric-field induced multiferroic topological solitons, Arthur Chaudron, Zixin Li, Aurore Finco, Pavel Marton, Pauline Dufour, Amr Abdelsamie, Johanna Fischer, Sophie Collin, Brahim Dkhil, Jirka Hlinka, Vincent Jacques, Jean-Yves Chauleau, Michel Viret, Karim Bouzehouane, Stéphane Fusil, Vincent Garcia, Nature Materials, publié le 6 mai 2024.
Doi :
10.1038/s41563-024-01890-4
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Contact

Vincent Garcia
Chercheur CNRS, Laboratoire Albert Fert
Communication CNRS Physique