Une nouvelle génération de photons intriqués en haute dimension sur puce
Utiliser la fréquence des photons est une voie émergente pour augmenter les performances du traitement quantique de l’information. En exploitant les propriétés optiques d'une puce semiconductrice d'arséniure d'aluminium-gallium (AlGaAs), des physiciennes et des physiciens démontrent ici une méthode nouvelle et versatile de génération et de manipulation d’états photoniques intriqués en fréquence, qui offre de nouvelles possibilités pour la réalisation de protocoles de communication, de calcul et de simulation quantiques de façon tout-intégrée.
Les états quantiques intriqués, impliquant par exemple les degrés de liberté de spin des électrons ou de polarisation des photons, jouent un rôle central dans les technologies quantiques. Aujourd’hui un intérêt croissant se porte vers l’intrication dans des degrés de liberté pouvant prendre un grand nombre de valeurs distinctes (haute dimension), ce qui pourrait augmenter énormément la densité et la sécurité de traitement de l’information quantique. Parmi les différents candidats à ce nouveau paradigme, les états des photons avec leur degré de liberté de fréquence sont particulièrement attractifs, notamment car ils peuvent être transportés de façon robuste dans des fibres optiques pour des communications à longue distance. Cependant, si la manipulation de la fréquence est bien maîtrisée pour des états classiques de lumière produits par des lasers, pour des états quantiques comme des paires de photons, il s’agit d’un domaine tout juste émergent. En particulier, la production à la demande d’états quantiques en fréquence, dès l’étape de génération et avec des dispositifs miniaturisés, n’avait pas encore été démontrée simultanément. C'est ce qu'ont réalisé des chercheuses et des chercheurs du Laboratoire matériaux et phénomènes quantiques (MPQ, CNRS/Univ. de Paris) en collaboration avec le Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N, CNRS/Univ. Paris-Saclay). La technique repose sur l’utilisation de la forte non-linéarité du semiconducteur AlGaAs pour générer sur une puce des paires de photons intriqués. Grâce à un éclairage transversal de la puce, le contrôle spatial du faisceau laser à l'origine de la génération des paires (faisceau pompe) permet d'obtenir de façon versatile différentes variétés d'états quantiques, notamment en choisissant leur symétrie. Cette adaptabilité de la génération des paires de photons est un atout important pour la réalisation de protocoles de communication et de calcul quantique ou pour la simulation de problèmes physiques complexes mettant en jeu la statistique des particules. Par ailleurs, l'intégration sur une puce est un autre atout important pour leur exploitation future. Ces résultats sont publiés dans la revue Optica.
Pour générer les paires de photons, une microcavité optique non linéaire en AlGaAs en forme de ruban (figure) est éclairée par un faisceau laser par le dessus. Le contrôle du profil spatial de ce faisceau de pompe permet de réaliser l’ingénierie de la fonction d’onde des paires de photons générées. D’une part, en modifiant la taille du faisceau, des états anticorrélés, corrélés ou bien séparables en fréquence peuvent être produits à la demande. D’autre part, le contrôle de la phase du faisceau de pompe permet de modifier la symétrie de l’état quantique, les photons produits se comportant alors soit comme des bosons (ce qui correspond à un creux de coïncidences dans une expérience de Hong-Ou-Mandel, voir la figure), soit comme des fermions (pic de coïncidences, voir la figure). Une manière alternative et complémentaire de manipuler la symétrie d’états quantiques à deux photons, publiée en parallèle par les autrices et auteurs dans npj Quantum Information, est d’exploiter la réflectivité des facettes d’un guide d’onde en AlGaAs pour obtenir une cavité optique non linéaire et produire des peignes de fréquences quantiques : la symétrie des états peut cette fois être contrôlée via la fréquence du faisceau de pompe et l’introduction d’un délai entre les photons de chaque paire.
Ces démonstrations de génération, de contrôle et de manipulation d’états photoniques quantiques en fréquence combinent les avantages d'être réalisées à température ambiante, aux longueurs d’onde des télécommunications, et sur des dispositifs semiconducteurs miniaturisés, ce qui ouvre la voie à la réalisation de protocoles complexes de façon tout-intégrée et au déploiement hors des laboratoires de ces technologies basées sur des états quantiques de haute dimension.
Références
Engineering two-photon wavefunction and exchange statistics in a semiconductor chip. S. Francesconi, F. Baboux, A. Raymond, N. Fabre, G. Boucher, A. Lemaître, P. Milman, M. Amanti et S. Ducci, Optica, le 9 avril 2020.
DOI: 10.1364/OPTICA.379477
Article disponible sur les bases d’archives ouvertes arXiv et HAL.
Generation and symmetry control of quantum frequency combs. G. Maltese, M. Amanti, F. Appas, G. Sinnl, A. Lemaître, P. Milman, F. Baboux et S. Ducci, npj Quantum Information, le 31 janvier 2020.
DOI: 10.1038/s41534-019-0237-9
Article disponible sur les bases d’archives ouvertes arXiv et HAL.