Un premier isolant de Mott bosonique à l'état solide

Résultat scientifique

Des physiciennes et des physiciens sont parvenus à fabriquer et caractériser cet état quantique de la matière avec des excitons, c’est à dire des bosons composés d’une paire électron-trou. Jusqu’à présent, les isolants de Mott bosoniques n’avaient été observés que pour des vapeurs atomiques ultrafroides. Cela ouvre la voie à l’exploration expérimentale de nouvelles phases quantiques de la matière comme la supersolidité.

L'isolant de Mott a été mis en évidence à la fin des années 1930, pour expliquer la conductivité nulle de certains oxydes de métaux de transition. Cette phase a ensuite été très étudiée pour les systèmes électroniques à l'état solide, puis plus récemment à la fois pour les fermions et les bosons grâce à des vapeurs atomiques confinées dans des réseaux optiques. A l'état solide, la phase de Mott bosonique restait encore à découvrir. En utilisant des excitons dipolaires constitués par des paires électron-trou confinées dans un réseau électrostatique, des physiciennes et des physiciens ont observé la première signature expérimentale d'un isolant de Mott bosonique à l'état solide. Ces travaux sont le résultat d’expériences réalisées à l’Institut des nanosciences de Paris (INSP, CNRS/Sorbonne Université). Ils sont publiés dans la revue Nature Physics.

Pour réaliser un isolant de Mott d’excitons, les chercheurs et les chercheuses se sont basés sur un empilement de deux fines couches (8 nm) de semiconducteurs, deux puits quantiques de GaAs, fabriqué à l’Université de Princeton par épitaxie par jet moléculaire. En polarisant ce dispositif électriquement, les électrons et les trous sont chacun confinés dans un puits différent. Leur interaction Coulombienne conduit à la formation d'excitons, bosons composites, caractérisés par un large moment dipolaire électrique permanent. Le fluide d'excitons est alors régi par un fort potentiel de répulsion dipolaire. L'énergie potentielle des excitons est aussi contrôlable par un champ électrique extérieur permettant de piéger ces derniers dans les zones de champ fort. En combinant le très haut niveau de pureté de la bicouche de GaAs, et un protocole de nanofabrication spécialement développé, les chercheurs ont créé des réseaux électrostatiques bidimensionnels de quelques centaines de nanomètres de période pour confiner les excitons. Ces réseaux sont induits en polarisant un arrangement d’électrodes déposées à la surface de la structure incorporant le double puits quantique de GaAs.

Les phases réalisées par les fluides d’excitons confinés dans un réseau électrostatique sont étudiées à basse température (330 mK) via la photoluminescence émise lors de la recombinaison radiative. Ainsi, les scientifiques ont mis en évidence, pour des occupations moyennes d’un ou deux excitons par site uniformément distribués, un profil spectral montrant une occupation majoritaire d’un seul état confiné et une compressibilité minimale. Ces observations constituent les signatures caractéristiques de phases isolantes de Mott. En mettant maintenant à profit la force des interactions dipolaires entre excitons, d’une amplitude sans précédent, le modèle de Hubbard étendu aux interactions entre plus proches voisins devrait pouvoir être étudié. Les excitons offrent ainsi un système de choix afin de mettre en évidence de nouvelles phases de la matière quantique, comme la supersolidité, attendues théoriquement mais qui restent à confirmer expérimentalement.

Dubin2022
Légende : (a) Image d’un réseau d'électrodes métalliques permettant de créer un réseau électrostatique de 400 nm de période pour les excitons. (b) Représentation d'un réseau d'excitons indirects composés d’électrons (gris) et de trous (blanc) avec leurs dipôles électriques (flèches rouges) alignés avec le champ électrique extérieur. Les excitons sont confinés dans le réseau (gris) induit par le potentiel appliqué sur les électrodes de surface (doré). (Crédit : F. Dubin et C. Lagoin)

 

Référence

Mott insulator of strongly interacting two-dimensional semiconductor excitons. Lagoin, C., Suffit, S., Baldwin, K., Pfeiffer, L., Dubin, F., Nature Physics, paru le 16 décembre 2021.
DOI : 10.1038/s41567-021-01440-8
Archives ouvertes HAL et arXiv

Contact

François Dubin
Chargé de recherche CNRS, Institut des nanosciences de Paris
Communication CNRS Physique