Un oscillateur anharmonique près de l’état fondamental : une nouvelle route vers les applications quantiques

Résultat scientifique

L’anharmonicité – c’est-à-dire le comportement non-linéaire - d’un oscillateur mécanique quantique près de son état fondamental est habituellement extrêmement faible. Une étude montre comment le fait d’induire une forte anharmonicité dans des nanotubes de carbone pourrait ouvrir la voie à plusieurs applications quantiques, de la réalisation d’états non classiques aux qubits mécaniques.

Des nanotubes de carbone disposés entre deux électrodes sont capables de vibrer mécaniquement comme le feraient les cordes d’une guitare microscopique. Cette vibration peut être exploitée pour réaliser des opérations quantiques. À ce jour, les réalisations expérimentales de vibrations dans les systèmes quantiques ne concernent que le régime harmonique, qui correspondrait classiquement à des faibles amplitudes de vibration. Pour les oscillateurs mécaniques quantiques dans leur état fondamental, l’amplitude des fluctuations spatiales, dites de point zéro, est également extrêmement faible. Pour cette raison, les oscillateurs mécaniques sont, dans leur immense majorité, harmoniques dans leur régime quantique de basse température. La réalisation d'oscillateurs quantiques anharmoniques est par conséquent un défi expérimental, d’autant plus intéressant qu’il permet d’envisager des perspectives prometteuses comme un meilleur contrôle de l'état quantique de ces systèmes par rapport à leur version purement harmonique, ou la préparation d'états non classiques comme les chats de Schrödinger. D'un point de vue technologique, la réalisation d'un état quantique anharmonique requiert la conception d'un couplage non-linéaire suffisamment important pour affecter l'oscillateur à l'échelle infime des fluctuations quantiques de point zéro.

Une expérience menée par l’équipe expérimentale de l’ICFO à Barcelone en collaboration avec une équipe théorique du Laboratoire ondes et matière d'Aquitaine (LOMA, CNRS / Université de Bordeaux) et un chercheur du Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies (C2N, CNRS / Université Paris-Saclay) a mis en évidence un comportement anharmonique de la réponse d’un oscillateur à base de nanotubes pour des amplitudes d’oscillation de l’ordre de 13 fois l’amplitude de point zéro. Dans ce cas presque la moitié de l’énergie élastique est stockée dans la partie anharmonique du potentiel. De façon encore plus surprenante, l’anharmonicité augmente en réduisant la température. Ce comportement très singulier avait été prédit auparavant par l’équipe théorique et est dû au couplage entre les électrons qui traversent le nanotube et le mode de flexion du nanotube lui-même. Disposé entre deux électrodes, le nanotube se comporte comme une boîte quantique, c’est-à-dire un réceptacle à électrons (voir figure). En traversant le nanotube, les électrons peuvent charger ou décharger la boîte quantique par sauts discrets de charges, modifiant ainsi son comportement vibratoire. L’effet principal de ce couplage est la réduction de la fréquence fondamentale harmonique et l’introduction d’une composante non-linéaire de vibration. Il provient de la dépendance du déplacement de l'oscillateur vis-à-vis de l'occupation électronique de la boîte quantique, et est amplifié à basse température car l'occupation passe de manière abrupte de zéro à un lors du déplacement du nanotube.

Ce résultat, qui explore pour la première fois un nouveau régime de dynamique des oscillateurs quantiques, constitue un premier pas vers l’utilisation des processus non-linéaires dans la réalisation de qubits basés sur des oscillateurs mécaniques. Ce résultat est publié dans Nature Physics.

Illustration Pistolesi
Figure : Schéma du dispositif. Un nanotube est suspendu entre deux contacts métalliques et oscille. Les électrons traversent le nanotube en passant par la boîte quantique (dessinée en rouge à l'intérieur du nanotube) de manière séquentielle : à chaque fois, le nanotube est chargé puis déchargé. La force moyenne dans le temps qui en résulte est fortement non linéaire.

Références

Nonlinear nanomechanical resonators approaching the quantum ground state, Chandan Samanta, Sergio Lugio De Bonis, Christoffer Bo Møller, Roger Tormo-Queralt, Wei Yang, Carles Urgell, Bilijama Stamenic, Brian Thibeault, Yong Jin, David A. Czaplewski, Fabio Pistolesi, et Adrian Bachtold, paru le 8 juin 2023 dans Nature Physics.
DOI : 10.1038/s41567-023-02065-9
Archive ouverte : arXiv

Contact

Fabio Pistolesi
Directeur de recherche au Laboratoire ondes et matière d'Aquitaine (LOMA)
Communication CNRS Physique