Un nouvel outil pour mesurer les liaisons protéiques à l’échelle de la molécule unique

Résultat scientifique

En combinant l’ingénierie d’ADN et des ondes acoustiques, des biophysiciens et biophysiciennes ont développé une nouvelle méthode pour étudier, sur une seule molécule, la rupture de liaisons intermoléculaires sous l'effet d’une force.

Des processus essentiels se déroulant au sein du corps humain, tels que les réactions enzymatiques, la liaison des anticorps ou la réponse aux médicaments, dépendent de liaisons temporaires entre protéines. Bien qu’il soit difficile de caractériser ces liaisons en raison précisément de leur caractère fugace, il est important de le faire, pour tester par exemple les performances de thérapies potentielles. Cependant les méthodes actuelles ont des capacités limitées quand il s’agit de caractériser une unique liaison. Elles reposent en effet sur des techniques de pointe, comme les pinces optiques ou magnétiques, qui ne permettent pas d’acquérir des données de façon parallèle pour en augmenter le débit, ou de réaliser une calibration précise de chaque mesure.

Dans un travail récent, des chercheurs et chercheuses du laboratoire Adhésion et inflammation (LAI, Aix-Marseille Université / CNRS / INSERM), en collaboration avec le Centre de Recherche en Cancérologie de Marseille (CRCM, Aix-Marseille Université / CNRS / INSERM / Institut Paoli-Calmettes) et l’Institut de biologie de l’École Normale Supérieure (IBENS, ENS-PSL / CNRS / INSERM) ont présenté une méthode surmontant ces obstacles, pour mesurer de façon plus accessible la résistance et la durée des liaisons protéine-protéine soumises à des forces similaires à celles qu'elles subiraient à l'intérieur de notre corps.

La méthode combine la spectroscopie de force acoustique et des structures de brins d’ADN. Les paires de protéines sont attachées à des structures d’ADN dans une chambre microfluidique. Un brin d'ADN attache la première protéine au fond de la chambre, tandis qu'un autre brin attache la seconde protéine à une petite bille de silice. Lorsque les chercheurs génèrent une onde acoustique dans la chambre, la force due à l'onde éloigne la bille de silice et la protéine à laquelle elle est attachée du fond de la chambre. Si la force est suffisante, cette traction rompt le lien entre les deux protéines. L’originalité de cette méthode vient de ce qu’un troisième brin d'ADN agit comme une laisse pour maintenir les protéines proches l'une de l'autre après la rupture de leur lien, et permet aux chercheurs de voir se recommencer le processus de liaison/séparation un grand nombre de fois. Ils accèdent ainsi de façon statistiquement fiable aux caractéristiques énergétiques de chaque liaison, qui sont testées individuellement, et de leur éventuelle évolution en présence d’anticorps ou de médicaments, ou sous l’action d’un changement spontané de leur conformation.

Comme preuve de concept, l'équipe de recherche a utilisé la technique pour caractériser deux interactions moléculaires d'intérêt biomédical : la liaison entre les protéines et la rapamycine, un médicament immunosuppresseur, et la liaison entre un anticorps à domaine unique et un antigène du VIH-1. Ces résultats sont publiés dans la revue Biophysical Journal.

Illustration Limozin
Figure : Vue d’artiste montrant un support d'ADN (en gris) maintenant deux protéines (en rouge et rose) à proximité en présence d'un ligand (en vert). Noter que trois brins d’ADN sont utilisés, un pour attacher la bille de silice (en jaune), un autre pour maintenir les deux protéines à proximité l’une de l’autre en cas de détachement, une troisième (esquissée dans le bas de l’image) liant le tout à une surface. L’ensemble est en solution et soumis à un champ acoustique tirant sur la microbille © Vladimir Kunetki

 

Références

Combining DNA scaffolds and acoustic force spectroscopy to characterize individual protein bonds, Yong Jian Wang, Claire Valotteau, Adrien Aimard, Lorenzo Villanueva, Dorota Kostrz, Maryne Follenfant, Terence Strick, Patrick Chames, Felix Rico, Charlie Gosse et Laurent Limozin, Biophysical Journal, paru le 7 Juin 2023.
Doi :
10.1016/j.bpj.2023.05.004
Archive ouverte : bioRxiv

 

 

Contact

Laurent Limozin
Directeur de recherche CNRS au Laboratoire Adhesion et Inflammation (LAI)
Communication CNRS Physique