Transfert d’énergie et de charges à l’interface de deux cristaux bidimensionnels

Résultat scientifique Nanosciences

Des physiciens ont décrit les transferts d’électrons et d’excitons à l’interface entre un semi-conducteur bidimensionnel et d’une couche de graphène. La compréhension de ces processus est indispensable à la mise au point de nouveaux dispositifs optoélectroniques et optospintroniques.

Les matériaux bidimensionnels sont des solides ordonnés dont l’épaisseur n’est que de quelques atomes. On trouve le graphène (semi-métal), les dichalcogénures de métaux de transition (dits « TMD », semi-conducteurs), et le nitrure de bore (isolant). Ils constituent une véritable boîte à outils pour l’étude de phénomènes physiques en dimensions réduites, et pour le développement de nanodispositifs optoélectroniques innovants où, par exemple, les propriétés optiques exceptionnelles des TMD (forte absorption optique, émission intense) se mêlent à l’excellente mobilité électronique du graphène. Afin de comprendre et d’optimiser le fonctionnement de ces dispositifs, il est indispensable d’étudier ce qui se passe précisément à l’interface TMD-graphène, où se produisent des transferts de charges et d’énergie.

Pour cela, des physiciens de l’Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS, CNRS/Univ. Strasbourg) ont étudié des « hétérostructures de van der Waals » composées d’une monocouche de graphène déposée sur une monocouche de diséléniure de molybdène (MoSe2). Ils ont notamment mis en évidence le rôle clé du transfert direct d’excitons (transfert d’énergie sans rayonnement) du TMD vers le graphène, alors que ce processus avait été largement négligé jusqu’alors. Ces résultats sont publiés dans la revue Physical Review X.

En pratique, l’échantillon a été soumis à des mesures de micro-photoluminescence. Elles ont révélé que l’émission de lumière issue du MoSe2 est fortement inhibée (à plus de 99 %) en présence du graphène. Cela peut s’expliquer de deux manières : un transfert de charges (électron ou trou) induit par les photons, ou bien un transfert sans rayonnement de l’énergie d’une paire électron-trou liée (un exciton) vers le graphène.

Pour évaluer les efficacités relatives de chacun des transferts, les physiciens ont effectué des mesures complémentaires de spectroscopie micro-raman. En effet, la fréquence et la largeur des modes de vibration Raman pour les matériaux 2D sont particulièrement sensibles à la densité de charge surfacique. Si les chercheurs ont pu démontrer sans ambiguïté la possibilité d’un transfert net d’électrons vers le graphène en présence de lumière, ils ont aussi constaté que l’émission de lumière, et donc la dynamique des états photoexcités du MoSe2, était indépendante de l’existence de ce transfert de charges. Ce résultat important démontre que le transfert d’excitons constitue le mode de désexcitation le plus rapide (avec un temps caractéristique d’environ une picoseconde) du MoSe2 couplé au graphène.

Ce travail a des conséquences importantes. D’un point de vue fondamental, les hétérostructures de van der Waals s’imposent comme des systèmes modèles « donneur-accepteur » pour l’étude du transfert de charges et d’énergie à deux dimensions. Coté applications, la plateforme « graphène-semiconducteur 2D » est omniprésente au sein de nouveaux dispositifs optoélectroniques, voire optospintroniques (une excitation optique du semi-conducteur est convertie en un courant électrique (éventuellement polarisé en spin) transporté dans la couche graphène). La plupart exploitent le transfert de charges photoinduit du semiconducteur 2D vers le graphène. Il faudra désormais compter avec le transfert d’énergie et concevoir des solutions efficaces pour séparer les paires électrontrou transférées vers le graphène, avant que les porteurs de charges ne dissipent rapidement leur énergie sous la forme de chaleur.

Image retirée.
(a) Illustration schématique du transfert d’énergie ou de charge d’une monocouche de Informations complémentaires dichalcogénure de métal de transition (e.g., MoSe2, donneur, en jaune et bleu) vers une monocouche de graphène (accepteur, en gris). (b) Image optique d’une hétérostructure graphène (Gr)/MoSe2. La zone couplée est matérialisée par le contour pointillé blanc. (c) Carte d’intensité de photoluminescence du MoSe2 mesurée sur cet échantillon. La photoluminescence est fortement inhibée sur la zone couplée. (d) Carte de la fréquence du mode Raman G du graphène. L’augmentation de la fréquence sur la zone couplée est la signature d’un transfert de charge.

 

En savoir plus

Charge versus energy transfer in atomically-thin graphene-transition metal dichalcogenide van der Waals heterostructures 
G. Froehlicher, E. Lorchat et S. Berciaud 
Physical review X (2018), doi 10.1103/PhysRevX.8.011007 
Retrouvez l’article sur la base d’archives ouvertes arXiv

 

Informations complémentaires

Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS, CNRS/Université de Strasbourg)

 

 

Contact

Stéphane Berciaud
Professeur à l'université de Strasbourg, Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg
Marine Charlet-Lambert
Chargée de communication