Stabiliser un film mince liquide sans savon
Des physicien-ne-s viennent de montrer qu’il est possible d’obtenir et de stabiliser un film liquide mince en utilisant non pas de l’eau additionnée d’un agent tensioactif comme le savon, mais un polymère liquide. La durée de vie exceptionnelle de ces films - plus d’une journée - pourrait s’expliquer par l’observation d’une grande distance séparant deux molécules au sein du liquide, qui fixe une épaisseur minimale pour le film et l’empêche de se percer.
Pour réaliser un film liquide stable, la méthode la plus simple consiste à ajouter un tensioactif tel que le savon. Celui-ci permet à la fois de réduire les forces de capillarité qui ont tendance à amincir le film et d’augmenter la répulsion entre les deux surfaces du film. On peut également retarder l’éclatement du film en augmentant la viscosité du liquide. Des physiciens du laboratoire de physique des solides (CNRS/Univ. Paris Sud) viennent de découvrir une troisième voie en réalisant des films liquides minces et libres stables pendant plusieurs dizaines d’heures avec un polymère fondu. Ils ont montré que ces films finissent pas s’amincir par couches successives dont l’épaisseur est comparable à la distance intermoléculaire caractéristique du liquide. Le film atteint une épaisseur de quelques molécules, qui pourrait être suffisamment grande pour diminuer la propension du film à se percer. Ce travail, publié dans la revue ACS Macro Letters, ouvre la voie à de nouveaux développements sur la réalisation de films minces, de mousses et d’émulsions dénués d’agent stabilisant.
Pour ce travail, les physiciens ont utilisé comme liquide des polymères "en peigne" fondus. Chaque molécule de ce liquide est composée d’une chaine linéaire principale comprenant une centaine de monomères sur lesquels se branchent des chaines latérales chimiquement différentes et plus courtes avec seulement une dizaine d’unités élémentaires chacune. En plongeant un cadre vertical dans ce fluide puis en le ressortant, les chercheurs ont obtenu des films minces carrés d’environ 10 cm2, épais d’un peu moins de 500 nanomètres et stables durant plus de 40 heures. Ils ont mesuré les variations de l’épaisseur de ce film en fonction de la hauteur et au cours du temps. La viscosité du liquide dans le film déduite de ces mesures s’avère plus de mille fois plus grande que la viscosité qu’ils avaient mesurée pour un grand volume de liquide. Comprendre la stabilité du film demande donc de s’intéresser au fait d’y emprisonner les polymères. Les physiciens ont alors remarqué que les films, en dessous d’une certaine épaisseur, ne s’amincissent plus continûment, mais par couches successives, toutes d’épaisseur identique. En étudiant la diffraction des rayons X par ce liquide polymérique au Synchrotron "Soleil", les scientifiques ont relevé la présence d’une longueur caractéristique corrélée à la taille des molécules et identique à la hauteur des couches mesurées lorsque son épaisseur devient comparable à la taille des molécules. Le film ne pourrait alors pas atteindre l’épaisseur critique où il va se percer.
Un tel système pourrait s’avérer potentiellement très résistant à l’amincissement imposé et produire ainsi un effet similaire aux tensioactifs. Néanmoins, les chercheurs poursuivent leurs travaux afin de comprendre les mécanismes précis qui contrôlent la stabilité de ces films. Ils espèrent notamment établir un cadre général pour concevoir d’autres molécules chimiquement différentes, mais aux propriétés stabilisantes identiques.
