Quand deux électrons jouent des coudes dans un circuit quantique

Résultat scientifique

Pour la première fois, des physiciens ont pu faire interagir exactement deux électrons et observer très précisément le résultat de cette rencontre, une prouesse qui ouvre la voie à des progrès dans le domaine de mesures ultrasensibles et en informatique quantique.

En matière d’ordinateur quantique, la recherche en est actuellement à un stade qui peut sans doute se comparer aux débuts de l’automobile, quand les ingénieurs et les inventeurs faisaient feu de tout bois pour tester, expérimenter et optimiser toutes de sortes de moteurs et de mécanismes. Cette phase « darwinienne » est essentielle dans tout processus technologique, car elle permet de faire émerger les solutions les plus prometteuses en termes de performance. Pour l’ordinateur quantique, la nature physique des qubits en interaction est actuellement l’objet d’expérimentations tous azimuths, via des réalisations de ces qubits par des photons en interactions, des atomes, des molécules ou des particules chargées : lesquels s’avèreront les constituants quantiques de nos ordinateurs futurs ?

L’étape préliminaire consiste à maîtriser la production et la manipulation individuelle de ces objets infinitésimaux. Dans le domaine de l’électronique quantique, les efforts de la dernière décennie ont permis de contrôler l’émission de charges à l’électron près. Cependant, il restait à réaliser l’émission synchronisée de deux électrons et à suivre de façon contrôlée leur interaction. À cette fin, des scientifiques de l’Institut Néel (CNRS), en collaboration avec des chercheurs japonais, ont mis récemment au point un collisionneur d’électrons à l'échelle nanométrique sur une puce de semiconducteurs. Un tel dispositif intègre deux sources d'électrons uniques qui peuvent être déclenchées avec précision sur une échelle de temps de l'ordre de la picoseconde. La paire d'électrons synchronisés est ensuite guidée par une onde acoustique de surface vers une région d'interaction où les deux charges se déplacent dans deux canaux parallèles séparés par une très fine paroi à travers laquelle ils peuvent interagir durant 14 nanosecondes. Malgré la brièveté de leur rencontre, les chercheurs ont observé une nette modification des trajectoires subséquentes des électrons qu’ils ont attribuée à l'interaction coulombienne répulsive (le principe d’exclusion de Pauli n’entrant pas dans l’interaction effective dans cette expérience). Cette démonstration expérimentale permet désormais d’envisager l’utilisation d’un tel électron volant comme capteur ultrarapide, ou pour générer un enchevêtrement quantique, élément clé de l'informatique quantique. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Nanotechnology.

Illustration Bauerle
Figure : Image par microscopie électronique à balayage du collisionneur d'électrons à l'échelle nanométrique défini par des électrodes métalliques (motifs colorés) sur une hétérostructure de semiconducteurs GaAs (en gris). Chaque boîte quantique (marquées « Source ») émet un électron à la demande. Les deux d'électrons émis de façon synchronisée et confinés dans l'onde acoustique de surface (SAW) se déplacent de gauche à droite en suivant les lignes pointillées. Dans la région de couplage centrale (où les électrodes jaunes sont parallèles), la répulsion électrostatique mutuelle (force de Coulomb entre particules chargées de même signe) maintient chaque électron dans son canal respectif. Après la collision, les électrons en vol sont captés par les boîtes quantiques de droite (« Detectors ») où ils sont analysés.

Références

Référence : Coulomb-mediated antibunching of an electron pair surfing on sound, Junliang Wang, Hermann Edlbauer, Aymeric Richard, Shunsuke Ota, Wanki Park, Jeongmin Shim, Arne Ludwig, Andreas D. Wieck, Heung-Sun Sim, Matias Urdampilleta, Tristan Meunier, Tetsuo Kodera!, Nobu-Hisa Kaneko, Hermann Sellier, Xavier Waintal, Shintaro Takada & Christopher Bäuerle, Nature Nanotechnology, publié le 11/05/2023.
Doi :
10.1038/s41565-023-01368-5
Archives ouvertes : arXiv 

Contact

Christopher Bauerle
Directeur de recherche CNRS à l'Institut Néel
Hermann Sellier
Maitre de conférences à l'Institut Néel
Communication CNRS Physique