Orienter les spins dans une couche mince magnétique grâce à l’interface avec un isolant 2D

Résultat scientifique

Certaines interactions existant à l’interface d’une couche magnétique ultramince, comme l’interaction d’échange antisymétrique dite « Dzyaloshinskii-Moriya » (DMI), peuvent conduire à l’apparition d’orientations particulières des spins des électrons à l’intérieur de la couche, notamment celles en tourbillon des skyrmions, possibles supports du stockage de l’information en électronique de spin. En réussissant à préparer une interface ultra-propre entre une couche de quelques plans atomiques de cobalt et des flocons déposés d’un matériau bidimensionnel : le nitrure de bore hexagonal (h-BN), des physiciennes et des physiciens ont pu mesurer l’intensité de l’interaction DMI observée pour la première fois entre ces deux matériaux et qui est aussi forte que le record actuel dans l’interface Pt-Co.

Certains comportements observés dans les couches magnétiques ultra-minces comme l’anisotropie qui donne une orientation préférentielle à l’aimantation ou l’interaction d’échange qui tend à aligner les moments magnétiques entre eux reposent sur des effets d’interfaces. Une interaction d’échange antisymétrique dite « Dzyaloshinskii-Moriya » (DMI) a été révélée il y a quelques années à l’interface entre une couche ferromagnétique et une couche de métal « lourd », à fort couplage spin-orbite (Pt, Or, Ir…). Des prédictions théoriques indiquaient que cette même interaction pourrait être observée en remplaçant le métal lourd par un matériau 2D.

Pour la première fois, des chercheurs et chercheuses du Laboratoire de Physique des Solides (LPS, CNRS / Université Paris-Saclay) ont fabriqué une interface Co/h-BN ultra-propre en maitrisant la croissance des couches ultraminces de cobalt sous ultravide et en déposant des cristaux bidimensionnels – des flocons - de h-BN par exfoliation mécanique in-situ. Ils ont rapporté l'observation expérimentale de fortes DMI et anisotropie perpendiculaire induites par des pétales de h-BN sur un film ultra-mince ferromagnétique de cobalt.

La DMI de l’interface Co/h-BN a été mesurée avec différentes couches tampons en utilisant la spectroscopie d’ondes de spin par diffusion inélastique de la lumière (effet Brillouin). En plus d'être comparable aux valeurs record obtenues dans les hétérostructures métalliques Pt/Co, la DMI de Co/h-BN est d'un signe qui renforce celle de Pt/Co lorsqu’elles sont combinées, favorisant la formation de skyrmions (Figure). D’une façon surprenante, ces effets forts prennent naissance en l'absence du couplage spin-orbite dans la couche de h-BN par ailleurs isolante, ce qui soulève des questions théoriques, la DMI étant jusqu’alors associée à un métal lourd présentant un fort couplage spin-orbite.

Ces résultats, en plus de questions de nature fondamentales, ouvrent de nouvelles possibilités d'intégration de matériaux bidimensionnels (2D) larges mais atomiquement minces dans les dispositifs de spin-orbitronique.

Illustration Mongin
Schéma des multicouches, image optique et skyrmions stabilisés par un faible champ magnétique (13 mT) observés à température ambiante par Microscopie à Force Magnétique.
© Banan El-Kerdi, André Thiaville, Stanislas Rohart, Sujit Panigrahy, Nuno Brás, João Sampaio,Alexandra Mougin

 

Références

Référence : Evidence of strong Dzyaloshinskii–Moriya interaction at the cobalt/hexagonal boron nitride interface
Banan El-Kerdi, André Thiaville, Stanislas Rohart, Sujit Panigrahy, Nuno Bras, Joao Sampaio, Alexandra Mougin, paru dans Nano Letters le 13/04/2023

Doi :acs.nanolett.2c04985
Archives ouvertes : arXiv

Contact

Alexandra Mougin
Directrice de recherche CNRS, Laboratoire de physique des solides
Banan El-Kerdi
Chercheur CNRS, Laboratoire de physique des solides
Communication CNRS Physique