Magnétisme et chiralité : un mariage éclairé

Résultat scientifique

On sait depuis Pasteur et Faraday que renverser la direction d'un champ magnétique ou inverser la symétrie miroir de molécules joue sur la propagation de la lumière. Associer les deux effets génère une anisotropie dite magnéto-chirale. En comparant expérience et modélisation dans le cas de complexes du nickel chiraux, les chercheurs valident ici pour la première fois une théorie microscopique et mettent en évidence le rôle du couplage des mouvements des électrons et des atomes dans l'intensité de l'anisotropie magnéto-chirale.

 

La chiralité des molécules est leur propriété d’exister sous deux formes différentes qui sont image miroir l’une de l’autre. La plupart des molécules de la vie, comme les sucres, les protéines, beaucoup de médicaments et l’ADN, sont chirales, ce qui est essentiel pour leur fonction. Cette propriété a été découverte par son pouvoir rotatoire sur la lumière, les deux formes faisant tourner le champ électrique de la lumière en sens opposé. Par ailleurs, le champ magnétique a aussi un pouvoir rotatoire sur la lumière : c'est l'effet magnéto-optique appelé effet Faraday. Depuis Pasteur, les chercheurs ont essayé de comprendre le lien entre chiralité et magnétisme. Ces dernières années, un nouveau phénomène magnéto-optique dans des systèmes chiraux a été mis en évidence : l’anisotropie magnéto-chirale (AMC). C'est un effet croisé de la rotation Faraday et du pouvoir rotatoire lié à la chiralité. Cet effet se traduit par une différence dans la transmission de la lumière qui traverse un milieu chiral parallèlement ou antiparallèlement à un champ magnétique externe, cette différence ayant des signes opposés pour les deux chiralités. Dans le cas de l'effet Faraday, une théorie microscopique développée en prenant en compte les états électroniques des atomes a permis avec succès de très nombreuses études et comparaisons expérimentales. Dans le cas de l'AMC au contraire, alors que les premières prédictions théoriques datent des années 1980, une telle comparaison entre théorie et expériences est restée sans succès, notamment en raison de la faiblesse des signaux mesurés.

Dans ce travail, grâce au choix d'un système modèle, un métal de transition (le nickel) environné de molécules dont la structure chirale conduit à un effet AMC important, une comparaison quantitative entre des résultats expérimentaux et des calculs microscopiques a été obtenue pour la première fois. Les mesures montrent que pour ces matériaux à basse température (quelques K), la différence entre la transmission de la lumière se propageant parallèlement ou antiparallèlement à un champ magnétique modeste de 1 tesla (à peine plus que celui d’un aimant de frigo), peut atteindre 10 %. Les modélisations permettent une compréhension détaillée de ces résultats en considérant les différentes transitions électroniques concernées. Elles mettent en évidence l'importance cruciale du couplage des électrons avec les vibrations atomiques, jusqu'alors non pris en compte, pour comprendre le signal AMC, et prédisent des anisotropies encore plus grandes pour des champs plus intenses ou des températures plus basses. Cette étude a été réalisée par les chercheurs de Laboratoire National des Champs Magnétiques Intenses (LNCMI, CNRS/Univ. Grenoble Alpes/INSA Toulouse/Univ. Paul Sabatier) à Toulouse et à Grenoble, l'Institut de Chimie de la Matière Condensée de Bordeaux (ICMCB, CNRS/Univ. Bordeaux), le Centre de Recherche Paul Pascal (CRPP, CNRS/Univ. Bordeaux), en collaboration avec l'université de Buffalo aux Etats-Unis. Elle est publiée dans la revue Science Advances.

Les effets magnéto-chiraux ont connu un regain d'intérêt dans le contexte des matériaux topologiques et des matériaux pour la spintronique présentant un fort couplage spin-orbite. La grandeur de l’effet observé dans cette étude et sa compréhension approfondie ouvrent le chemin à des applications de l’AMC, qui peuvent aller des diodes optiques à de nouvelles méthodes de stockage des données optiques.

Représentation des deux formes chirales  et  du complexe métallique
Figure : (a) Représentation des deux formes chirales L et D du complexe métallique, avec l'ion Ni2+ en rouge, et les atomes d'azote (bleu), de carbone (noir) et d'hydrogène (blanc).
(b) Géométrie de la mesure de l'anisotropie magnéto-chirale : k donne la direction de propagation de la lumière qui est parallèle ou antiparallèle au champ magnétique (une seule orientation représentée ici). Deux cas sont considérés, axial et orthoaxial, suivant l'orientation de l'axe cristallographique de l'échantillon chiral.
(c) Mesures de DA qui mesure l'AMC pour la forme D pour les deux cas axial et orthoaxial (T = 4 K et B = 1 T).
(d) Calculs de DA dans les mêmes conditions que (c), avec (traits continus) et sans (tirets) le couplage avec la vibration atomique.
© G. Rikken/LNCMI

 

 

Référence

Validation of Microscopic Magneto-Chiral Dichroism Theory. M. Atzori, H. Ludowieg, M. Cortijo, I. Breslavetz, K. Paillot, P. Rosa, C. Train, J. Autschbach, E. A. Hillard, G. L. J. A. Rikken, Science Advances, Publié le 21 avril 2021.
DOI : 10.1126/sciadv.abg2859
Article disponible sur la base d’archives ouvertes hal

Contact

Geert Rikken
Directeur de recherche au CNRS, Laboratoire national des champs magnétiques intenses
Communication CNRS Physique