L’interaction de groupe, un élément essentiel dans l’évolution des communautés et des réseaux

Résultat scientifique

Dans un travail récent, des chercheurs montrent comment analyser les réseaux où les agents ne communiquent pas uniquement par paires isolées, mais où des interactions directes par groupes sont également possibles.

La science des réseaux vise depuis longtemps à découvrir les principes d'organisation d'un large éventail de systèmes complexes et, dans ce but, elle a développé de nombreux concepts et outils pour trouver des structures pertinentes à différentes échelles dans ces réseaux, comme les noeuds les plus connectés (“hubs”), les communautés, les motifs, le phénomène de “club des riches”, etc... Une importante contribution à ces recherches est venue de chercheurs en physique statistique, souvent en interaction avec d’autres disciplines, allant des sciences sociales à l’épidémiologie.

Récemment, cependant, il a été reconnu qu'il est souvent nécessaire d'aller au-delà des représentations en réseaux : ces derniers sont en effet intrinsèquement limités à la description d'interactions par paires, alors que de nombreux systèmes incluent des interactions d'ordre supérieur impliquant des groupes d'éléments de tailles arbitraires. Par exemple, une discussion de groupe n’est pas équivalente à une série d'échanges deux à deux, un travail d'équipe nécessite les interactions simultanées de plusieurs individus, et même les études récentes sur les systèmes neuronaux, ainsi que sur les écosystèmes, ont mis en évidence le rôle crucial des interactions de groupe. En outre, de nombreux processus dynamiques, tels que la formation d'un consensus ou la contagion d’une opinion comprennent des mécanismes impliquant des groupes. Par exemple, deux personnes partageant une opinion peuvent en convaincre une troisième plus facilement lors d’une conversation à trois grâce à un effet de renforcement. Les représentations par des réseaux ne sont donc pas suffisantes pour pour décrire ces mécanismes.

Ces considérations ont stimulé l'utilisation de représentations par des hypergraphes, dans lesquels les éléments sont reliés par des hyperliens, c'est-à-dire des liens qui comprennent un nombre arbitraire de nœuds et qui, par conséquent, représentent les interactions de groupe. Cependant, nous manquons encore d’outils appropriés pour détecter et caractériser les sous-structures pertinentes des hypergraphes, telles que leurs parties densément connectées.

Dans ce contexte, une équipe internationale dirigée par un chercheur du Centre Physique Théorique (CPT, Université Aix-Marseille / CNRS / Université de Toulon) a récemment fait progresser l'état de l'art de façon significative. Tout d’abord, ils ont proposé de décomposer un hypergraphe en hypercoeurs, définis comme des sous-ensembles de nœuds connectés par au moins un certain nombre d'hyperliens (les « groupes de nœuds ») d'au moins une certaine taille. Ils ont montré que l’application de cette procédure sur un vaste éventail de données empiriques permet de fournir une nouvelle caractérisation de ces données et d’identifier des structures non triviales échappant aux analyses standards. Associée à cette structuration « hypernodale » est proposée une nouvelle notion de centralité pour les nœuds dans les hypergraphes, qui tient compte de leur position dans cette décomposition, et qui permet de souligner l’importance des hypercœurs les plus centraux et des nœuds ayant une grande hypercentralité dans les processus impliquant des interactions de groupe. Par exemple, les chercheurs montrent dans ce travail que les processus de propagation sont typiquement localisés dans les hypercoeurs de forte connectivité impliquant des groupes de grande taille, et que les nœuds de ces hypercoeurs ont un grand pouvoir de diffusion. En outre, dans l'émergence des conventions sociales, un ensemble extrêmement restreint d'individus engagés avec une hypercentralité élevée peut renverser une convention majoritaire de manière efficace et rapide.

La prise en compte des interactions de groupe a été reconnue comme une étape majeure dans la recherche d'une meilleure description des systèmes complexes. Les méthodes mises au point par l’équipe pourront donc être utilisées par des chercheurs venant de nombreuses disciplines et ces résultats stimuleront sans aucun doute de nombreux travaux dans le futur. Ils sont publiés dans la revue Nature Communications.

Illustration Barrat
Figure : Dans chaque figure chaque point représente un noeud, les groupes en interaction (hyperliens) sont entourés avec une couleur dépendant de la taille m de l'interaction. La première figure est un exemple schématique d'hypergraphe, la second représente sa décomposition en hypercoeurs: les différents hypercoeurs (ensemble de noeuds connectés par au moins k hyperliens de taille au moins m) sont entourés par des lignes © Marco Mancastroppa

Références

Hyper-cores promote localization and efficient seeding in higher-order processes, Marco Mancastroppa, Iacopo Iacopini, Giovanni Petri et Alain Barrat, Nature Communications, publié le 6 octobre 2023.
Doi : 10.1038/s41467-023-41887-2
Archives ouvertes : arXiv

Contact

Alain Barrat
Directeur de recherche au CNRS, Centre de physique théorique
Communication CNRS Physique