Les constantes fondamentales sont-elles aussi bien connues que nous le pensons ?

Résultat scientifique

En revisitant les procédures par lesquelles les valeurs des constantes fondamentales de la physique sont déduites de différentes expériences de physique atomique ou moléculaire, des chercheurs ont quantifié de façon systématique comment une hypothétique nouvelle particule pourrait influencer notablement leurs résultats.

Le modèle standard (MS) de la physique des particules décrit avec précision les interactions fondamentales et le comportement des particules élémentaires. Malgré la découverte du boson de Higgs, le MS reste incomplet, notamment parce qu’il n’explique pas la matière noire, les oscillations de neutrinos et l’absence d’antimatière dans l’univers. Longtemps focalisée sur les plus hautes énergies, la recherche d’une nouvelle physique au-delà du MS se penche aujourd’hui, avec autant d’espoir, sur la possibilité d’une extension du MS à plus basse énergie. Les mesures de précision en physique atomique et moléculaire constituent en particulier des sondes très sensibles de nouvelles particules légères.

Structurellement, le MS laisse un certain nombre de constantes fondamentales non déterminées, comme par exemple la constante de structure fine, ou le rapport entre la masse de l’électron et celle du proton, qui sont déduites d’une comparaison entre résultats expérimentaux et prédictions théoriques du MS. La multiplication de telles expériences, pour peu qu’elles sondent des processus indépendants les uns des autres, permet de plus de tester la solidité du MS et de chercher des indices d’une nouvelle physique qui irait au-delà de ce dernier. Ainsi, des mesures récentes de haute précision en spectroscopie de l’atome d’hydrogène conduisent à un rayon du proton substantiellement différent de celui obtenu par spectroscopie de l’hydrogène muonique où l’électron est remplacé par un muon.

Dans un travail récent, une équipe internationale impliquant des chercheurs du Laboratoire d'Annecy-le-Vieux de physique théorique (LAPTh, CNRS / Université Savoie Mont-Blanc) et du Laboratoire Kastler Brossel (LKB, CNRS / Collège de France / ENS – PSL / Sorbonne Université) a proposé un réexamen des procédures habituelles par lesquelles les valeurs des constantes fondamentales sont extraites des jeux de données expérimentales. Ils montrent qu’ajouter aux prédictions du MS des effets induits par une hypothétique nouvelle particule faiblement couplée à celles du MS - dont plusieurs réalisations possibles sont étudiées - permet d’éliminer les incohérences entre certains résultats expérimentaux, avec pour conséquence supplémentaire de déplacer significativement les valeurs desdites constantes (voir Figure). Bien que l'existence de cette particule exotique reste à confirmer, ces travaux montrent comment la procédure actuelle de détermination des constantes fondamentales peut être convertie en un outil très sensible d’exploration d’une nouvelle physique dépassant le cadre du MS. Ces résultats sont publiés dans Physical Review Letters.

Illustration EDDL Karr
Figure : Valeurs du rayon du proton (rp) et de la constante de Rydberg (R∞) obtenues simultanément par un ajustement global de données spectroscopiques. L’abscisse et l’ordonnée correspondent aux écarts de rp et de R∞ par rapport à leurs valeurs recommandées actuelles (CODATA 2018), en nombre de déviations standard. L’ellipse grise montre le résultat obtenu dans le cadre du modèle standard, qui diffère légèrement de la valeur du CODATA car des données postérieures à 2018 ont été prises en compte. Les ellipses bleue et violette ont été obtenues avec le même jeu de données expérimentales, mais en ajoutant à l’analyse les effets d’une nouvelle particule légère, selon deux modèles théoriques différents ; on observe dans chaque cas des décalages d’environ 5 déviations standards ou plus et une augmentation des incertitudes (aire de l’ellipse).

 

Références

Self-consistent extraction of spectroscopic bounds on light new physics, C. Delaunay et al., Physical Review Letters, Publié le 24 mars 2023
Doi :10.1103/PhysRevLett.130.121801
Archives ouvertes arXiv 

 

Contact

Cédric Delaunay
Chargé de recherche au CNRS, Laboratoire d'Annecy-le-Vieux de physique théorique
Jean-Philippe Karr
Enseignant-chercheur à l'Université d'Évry-Val-d'Essonne, Laboratoire Kastler Brossel
Communication CNRS Physique