Le mouvement d'un objet macroscopique rendu entièrement quantique

Résultat scientifique

En refroidissant près du zéro absolu un petit tambour d'aluminium, des chercheurs sont parvenus pour la première fois à placer l'objet complet dans son état fondamental quantique de mouvement. Il s'agit d'une étape majeure dans l’étude de la thermodynamique quantique, et plus généralement des propriétés quantiques du mouvement.

Ces dernières années, des expériences pionnières ont commencé à explorer la nature quantique du mouvement d’objets de taille micrométrique. A la manière d'une corde de guitare, un objet vibre selon différents modes : un mode fondamental de plus basse fréquence et des harmoniques. Jusqu’à aujourd’hui, les expériences n’ont pu rendre quantique qu'un ou deux modes, qui se retrouvaient ainsi au milieu d'autres modes bien plus thermiquement peuplés, donc « classiques », et infiniment plus nombreux. Pour cette raison, l’objet mécanique dans son ensemble, ici le tambour, demeurait avant tout un objet classique, avec les limitations que cela impose aux expérimentateurs. Une équipe de l’Institut Néel (CNRS) à Grenoble, en collaboration avec une équipe de Helsinki (Aalto, Finlande) a démontré le refroidissement d’un tambour d’aluminium de 15 µm de diamètre à 500 μK. L’objet mécanique entier est « quantique », au sens où tous les modes mécaniques qui le constituent sont tellement froids qu’ils sont essentiellement vides d’excitations. Ces travaux sont publiés dans la revue Nature Communication. 

Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs ont utilisé le cryostat à démagnétisation adiabatique nucléaire de l'Institut Néel. La difficulté a consisté d'abord à s'assurer que le tambour était entièrement refroidi. En effet, à ces températures extrêmes, les liens thermiques deviennent extrêmement faibles entre les différentes parties d'un objet. Elles se découplent thermiquement. Il a donc fallu thermaliser au mieux le tambour et minimiser les pertes de chaleur. L'autre difficulté a consisté à caractériser l'état obtenu, autrement dit à démontrer que le mode de plus basse fréquence de l’objet est froid (si ce mode est vide d’excitations thermiques, les modes de plus haute fréquence le seront également). Les chercheurs ont ainsi dû mesurer la température du cryostat, ainsi que la population thermique du mode, et démontrer que le système était à l'équilibre.

Cette première mondiale ouvre la voie à un nouveau champ d’investigation expérimental directement focalisé sur les propriétés thermodynamiques quantiques d’objets mécaniques macroscopiques, et à l’étude de la robustesse des états quantiques macroscopiques du mouvement. Il s’agit des fondements même de la mécanique quantique : comment passe-t-on du monde quantique microscopique au monde classique macroscopique ? Une nouvelle théorie de « gravitation quantique » liant les deux piliers de la physique pourrait-elle tout expliquer ? Les Systèmes Micro-Electro-Mécaniques (MEMS) comme ce tambour constituent un pont entre ces deux limites, et il est aujourd’hui possible d’y aborder les fameux paradoxes liés à l’interprétation des postulats de base de la théorie, comme le paradoxe « EPR » ou celui du « chat de Schrödinger ». Les propriétés thermodynamiques des MEMS permettent aussi d'aborder les paradoxes de la thermodynamique, avec les violations des lois de la thermodynamique macroscopique et le fameux « démon de Maxwell ».

EddyCollin
Figure : (Gauche) Photographie du cryostat à désaimantation nucléaire de Grenoble. (Centre, en haut) Photographie du tambour en aluminium, réalisé à Aalto. (Centre, en bas) Trace temporelle des fluctuations lentes de la population thermique aux alentours de 500 μK. Les zones grisées en-dessous de 1 phonon correspondent au régime quantique. Crédit : Eddy Collin. 

Référence

A macroscopic object passively cooled into its quantum ground state of motion beyond single-mode cooling. D. Cattiaux, I. Golokolenov, S. Kumar, M. Sillanpää, L. Mercier de Lépinay, R. R. Gazizulin, X. Zhou, A. D. Armour, O. Bourgeois, A. Fefferman & E. Collin, Nature Communication, paru le 26 octobre 2021.
DOI : 10.1038/s41467-021-26457-8
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Eddy Collin
Directeur de recherche CNRS, Institut Néel
Communication CNRS Physique