La réponse des plastiques aux étirements extrêmes

Résultat scientifique

En couplant une machine de traction et une mesure diélectrique in situ, un groupe de physiciens et physiciennes lyonnais ont fait une avancée dans la compréhension des réorganisations moléculaires qui permettent à un film de polymère de s’étirer.

Les polymères sont des molécules formées par l’enchaînement d’unités élémentaires appelées monomères. Ces molécules sont extrêmement longues et déformables, ce qui fait qu’à l’état solide, ils gardent la structure enchevêtrée et désordonnée du liquide et ressemblent à un plat de spaghettis microscopiques après cuisson. Ce désordre structural et la connectivité interne des polymères confèrent à la plupart d’entre eux de très bonnes propriétés de ductilité, ces matériaux résistant jusqu’à typiquement 100% de déformation quand on les étire. Dans ce processus d’élongation, plusieurs comportements sont en général observés : un premier régime correspond aux déformations élastiques, presque parfaitement réversibles : si l’on arrête de les solliciter, les polymères reviennent à leur état de départ. Ensuite la contrainte (proportionnelle à la force appliquée pour tirer sur le matériau) passe par un maximum qui correspond à un seuil au-delà duquel s’observe un régime plastique : le polymère se met alors à couler. Au-delà, pour des déformations extrêmes, on observe que pour certains polymères la contrainte nécessaire croît à nouveau progressivement : c’est le régime de durcissement plastique. Cette dernière propriété, encore imparfaitement comprise, est paradoxalement essentielle à la ductilité des plastiques. Sans elle en effet le matériau casserait à des déformations de moins de 10%.

À la différence des métaux pour lesquels le lien entre leurs propriétés mécaniques et les défauts internes de leur structure cristalline (dislocations, disinclinaisons, lacunes...) est établi depuis longtemps, les mécanismes de déformation des polymères vitreux (c’est-à-dire à la fois solides et microscopiquement désordonnés) sont en effet encore l’objet de débats. Afin de progresser dans la compréhension de ces phénomènes, des scientifiques du Laboratoire de physique (LPENSL, CNRS/ENS de Lyon) et du Laboratoire des polymères et matériaux avancés (LPMA, CNRS/SOLVAY) ont étudié les mouvements moléculaires par relaxation diélectrique in situ d’un film de polymères soumis à une déformation par une machine de traction. Cette technique permet de mesurer la vitesse à laquelle les monomères bougent les uns par rapport aux autres. Ils ont ainsi montré que cette dynamique s’accélère à l’application de la déformation, passe par un maximum peu après le seuil d’écoulement plastique puis se ralentit progressivement à grande déformation.

Les résultats obtenus démontrent que dans tous les régimes de déformation, les mouvements des monomères sont thermiquement activés et contrôlés par des barrières d’énergie. Ces barrières passent de 40-45 kBT (kBT étant l’énergie caractéristique que possède un seul monomère du fait de l’agitation thermique. Passer une telle barrière représente donc une fluctuation possible mais rare et induit une dynamique très lente) dans l’état initial et en l’absence de toute contrainte à 30-35 kBT au seuil d’écoulement plastique, puis augmentent de nouveau à 100% de déformation dans le régime de durcissement plastique. Ces changements de barrières d’énergie sont expliqués par la somme de deux contributions. La première est une contribution négative qui abaisse les barrières et tend à faciliter l’écoulement. La seconde, positive, est due à l’augmentation de l’énergie d’interaction entre monomères à cause de l’orientation imposée par la traction. Cette contribution, qui relaxe lentement lors de l’arrêt de la déformation imposée, est responsable des effets mémoires caractéristiques des polymères dans le régime de durcissement sous étirement. Ces résultats ouvrent la perspective d’une description détaillée de la plasticité des polymères et de l’influence de la structure chimique du polymère sur son comportement mécanique. Ils sont publiés dans la revue Macromolecules.

 

crauste
Figure : Courbe de la contrainte en fonction de la déformation lors d’une traction d’un film de polycarbonate de 125 μm d’épaisseur. La zone correspondant au durcissement plastique est la dernière partie, croissante, de la courbe. L’insert illustre la façon dont l’orientation des chaînes est modifiée lors de la traction. 

Référence

Microscopic dynamics in the strain hardening regime of glassy polymersJ. Hem, C. Crauste-Thibierge, T. Merlette, F. Clément, D. Long, S. Ciliberto, Macromolecules, paru le 11 octobre 2022. 
Doi : 10.1021/acs.macromol.2c00802
Archives ouvertes :  https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03819002

Contact

Caroline Crauste-Thibierge
Chargée de recherche CNRS, Laboratoire de physique de l'ENS Lyon
Communication CNRS Physique