image de microscopie électronique de la nanostructure étudiée. Les dimensions importantes sont indiquées : la périodicité A=377 nm, le diamètre des trous D=124 nm et la distance entre les trous N=253 nm
Image de microscopie électronique de la nanostructure étudiée. Les dimensions importantes sont indiquées : la périodicité A=377 nm, le diamètre des trous D=124 nm et la distance entre les trous N=253 nm © V. Giordano

Interférences de phonons et transport de chaleur

Résultat scientifique

En utilisant une technique de spectroscopie utilisant le laser à électrons libres sur une membrane ayant un arrangement périodique de pores, des chercheurs et chercheuses ont montré que cette périodicité induit un phénomène d’interférence dans les excitations responsables du transport de la chaleur qui modifie ce transport.

Dans un matériau électriquement non conducteur, la chaleur est transportée par les vibrations des atomes. Ces excitations collectives, appelées phonons, forment des paquets d’onde, qui se comportent comme des quasi-particules : ils se propagent en ligne droite et transportent leur énergie (et donc la chaleur) jusqu’à ce qu’ils rencontrent un obstacle qui les diffusent. La présence d’obstacles réduit leur efficacité à transporter la chaleur, car à chaque diffusion non seulement la direction de propagation est modifiée, mais également le paquet d’onde perd un peu de son amplitude.

Certains phénomènes ne peuvent toutefois pas être expliqués par le comportement corpusculaire des phonons, mais ressortissent plus à leur nature ondulatoire. Dans le cas d’un matériau nanostructuré avec un motif périodique, les phonons développent une physique que l’on observe plus habituellement avec la lumière. Deux phonons issus de la réflexion d’un phonon incident par des interfaces parallèles peuvent ainsi interférer, pour peu qu’il y ait un accord précis entre la longueur d’onde de la vibration, l’incidence et les distances entre interfaces. De plus, il ne faut pas que les phonons soient diffusés par des impuretés aléatoires, ni que la rugosité des interfaces ne soit trop importante pour compromettre de véritable réflexions à leur contact. Quand toutes ces conditions sont réunies, on peut s’attendre, dans une nanostructure périodique, à un phénomène analogue à la diffraction de Bragg pour la lumière et ses photons : l’interférence entre phonons réfléchis par les motifs périodiques donnera lieu à des maxima et minima d’énergie vibrationnelle quand on fera varier leur longueur d’onde.

En utilisant une nouvelle technique récemment développée au laser à électrons libres FERMI, la spectroscopie de réseau transitoire à ultraviolets extrêmes, un groupe de physiciens et physiciennes de l’Institut Lumière Matière (ILM, CNRS / Université Lyon 1) a pu pour la première fois mesurer l’atténuation de phonons avec une longueur d’onde comparable à la taille de la nanostructure, dans une membrane de mononitrure de silicium (SiN) nanostructurée avec un réseau périodique de pores, où toutes les conditions ont été réunies pour observer des phénomènes d’interférence. Ceux-ci avaient déjà été observés indirectement à travers une modification de la relation entre énergie et longueur d’onde des phonons en présence d’une structuration périodique du substrat, mais leurs caractéristiques précises d’atténuation jamais mesurées. Pour rationaliser les résultats des expériences, une simulation en éléments finis de la propagation d’un paquet d’ondes dans une nanostructure a été adjointe à l’expérience, en collaboration avec une équipe de théoriciens du Laboratoire de Mécanique des Contacts et des Structures (LaMCoS, CNRS / INSA Lyon). Les chercheurs et chercheuses ont observé une plus forte atténuation des phonons dans la nanostructure, par rapport à une membrane non nanostructurée (uniforme), qu’ils ont pu attribuer à la présence d’interférences dont la signature augmente quand la longueur d’onde du phonon se rapproche de la taille de la nanostructure, une contribution interférentielle à la dissipation qui peut aller jusqu’à tripler voire décupler l’atténuation du phonon.

Ce travail révèle donc pour la première fois un nouveau mécanisme d’atténuation des phonons dans une nanostructure périodique, d’origine ondulatoire, lié à la présence d’interférences entre phonons réfléchis. Cette découverte a des conséquences fondamentales dans la compréhension du transport de la chaleur en présence de phénomènes d’interférence, qui pourrait permettre de concevoir de nouveaux matériaux affectant le transport de chaleur. De plus, cette découverte pourrait avoir des retombées dans d’autres domaines, où les phonons jouent un rôle important, comme dans les propriétés piezoélectriques et piézomagnétiques des matériaux, mais aussi les technologies d’information émergentes basées sur les phonons et les dispositifs phononiques. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Communications.

Illustration Giordano
Figure : Distance parcourue par le phonon, sur laquelle il transporte l’énergie (carrés bleus). Elle est réduite à partir d’une longueur d’onde de 100 nm, là où les simulations ont identifié la présence de fortes interférences. Quant au flux d’énergie, celui-ci a lieu sur des distances plus longues (cercles magenta) grâce à la transmission d’énergie entre réflexions © V. Giordano.

Références

The effect of echoes interference on phonon attenuation in a nanophononic membrane, Mohammad Hadi, Haoming Luo, Stéphane Pailhès, Anne Tanguy, Anthony Gravouil, Flavio Capotondi, Dario De Angelis, Danny Fainozzi , Laura Foglia, Riccardo Mincigrucci, Ettore Paltanin, Emanuele Pedersoli , Jacopo S. Pelli-Cresi, Filippo Bencivenga & Valentina M. Giordano, Nature Communications, publié le 13 février 2024.
Doi : 10.1038/s41467-024-45571-x
Archive ouverte : National Library of Medecine

Contact

Valentina Giordano
Chercheuse CNRS, Institut lumière matière (ILM)
Communication CNRS Physique