Détection conjointe de propriétés d’un photon dans deux endroits différents

Résultat scientifique

Selon la dualité onde-corpuscule, une particule quantique se comporte aussi comme une onde étendue dans l’espace. Des physiciens viennent d’observer la signature de deux propriétés distinctes d’un même photon mesurées dans deux bras d’un interféromètre, séparés de quelques centimètres, illustrant ainsi la délocalisation intrinsèque des objets quantiques.

D’après la théorie quantique, lorsqu’un photon est envoyé dans un interféromètre tout se passe comme si la particule de lumière se propageait en suivant les deux bras de l’interféromètre à la fois. Expérimentalement, ceci se voit en général après coup, lorsqu’on détecte le photon à la sortie de l’interféromètre, car l’intensité observée montre des interférences qui signent l’existence de ces deux chemins empruntés par la particule. En revanche, comprendre ce qu’il se passe à l’intérieur de l’interféromètre reste un défi de premier plan, car toute mesure sur le photon quand il se propage dans l’interféromètre le perturbe irrémédiablement et détruit la figure d’interférences, comme par exemple quand on cherche à détecter par quel bras de l’interféromètre le photon est passé.

Dans une nouvelle expérience menée dans le cadre d’une collaboration franco-indienne comptant un chercheur du Laboratoire de Physique Théorique et Modélisation (LPTM, CNRS / CY Cergy Paris Univ), une approche originale a été réalisée par la mesure conjointe et de manière non-destructive de deux propriétés du même photon pendant son évolution à l’intérieur d’un interféromètre, chaque propriété étant mesurée dans un des bras de l’interféromètre. La difficulté de l’expérience est qu’il faut préserver la cohérence du photon dans l’interféromètre afin de ne pas détruire les interférences. L’interaction doit donc être la plus faible possible, tout en produisant des effets mesurables. Les expériences analogues menées jusqu’ici ne pouvaient au mieux qu’implémenter une interaction faible dans l’un des bras, illustrant la difficulté de l’entreprise.      

Dans cette nouvelle expérience, un photon unique est envoyé dans l’interféromètre. Dans un des bras, une interaction avec un composant optique décale très légèrement la position moyenne du photon (ou pour être plus précis, le profil spatial de sa fonction d’onde) dans une direction horizontale. Ceci constitue une mesure non-destructive de la présence du photon dans ce bras de l’interféromètre. Dans l’autre bras de l’interféromètre, séparé de quelques centimètres, un autre composant optique décale très légèrement la position moyenne du photon dans une direction verticale (il s’agit d’une mesure non-destructive de la polarisation du photon, le couplage de cette composante dépendant de la polarisation du photon). Enfin, le photon sort de l’interféromètre et sa position sur un détecteur est mesurée dans un plan. En reproduisant l’expérience plusieurs fois, on observe qu’en présence d’interactions dans chaque bras, la position moyenne du photon est déplacée de manière diagonale, reflétant à la fois le déplacement horizontal dû à l’interaction horizontale dans un bras et verticale dans l’autre.

Le déplacement dans chaque direction est proportionnel à ce qu’on appelle la « valeur faible » de la grandeur physique mesurée. Les valeurs faibles mesurées expérimentalement lors de l’expérience sont en accord avec celles prévues par la théorie quantique. Ceci confirme que chaque photon a subi conjointement l’effet d’un couplage simultané dans chaque bras. À l’avenir, on pourra également, au lieu d’utiliser une propriété du photon comme témoin du couplage, employer une particule différente dans chaque bras: l’état quantique de chaque particule sera alors modifié par la valeur faible correspondante, alors même que ces deux particules sont séparées spatialement. Un tel schéma pourrait avoir de nombreuses applications en technologie quantique. Ces résultats sont publiés dans la revue Communications Physics.

Illustration Matzkin
Figure : Schéma de l’expérience. Un photon rentre dans l’interféromètre par le bas, se propage suivant les bras A et B, puis est détecté à la sortie de l’interféromètre (coche verte). Les interactions dans chaque bras sont symbolisées par les lignes ondulées jaunes.

Références

Unambiguous joint detection of spatially separated properties of a single photon in the two arms of an interferometer, Surya Narayan Sahoo, Sanchari Chakraborti, Som Kanjilal, Saumya Ranjan Behera, Dipankar Home, Alex Matzkin et Urbasi Sinha, Communications Physics, paru le 7 aout 2023.
Doi : 10.1038/s42005-023-01317-7
Archive ouverte : arXiv

Contact

Alexandre Matzkin
Directeur de recherche CNRS, Laboratoire de Physique Théorique et Modélisation (LPTM)
Communication CNRS Physique