Représentation d'un dispositif ferroélectrique reconfigurable « ReFeFET » (centre), mettant en œuvre une hétérostructure de van der Waals atomiquement fine © Jean-François Dayen, IPCMS

Des transistors qui ont de la mémoire : une révolution dans la topologie des circuits intégrés

Résultat scientifique

En assemblant des matériaux ferroélectriques en couches semiconductrices ultra-minces, des scientifiques proposent une nouvelle architecture pour les circuits intégrés intégrant à la fois le traitement de l’information et son stockage, ouvrant la voie à un gain substantiel de performance pour les ordinateurs de demain.

Les circuits intégrés modernes sont confrontés à des défis d’une importance sociétale majeure. La technologie dominante dans ce domaine est le CMOS (Complementary Metal Oxide Semiconductor), qui utilise classiquement des transistors unipolaires à la fonctionnalité figée, car déterminée par le type de dopants (chargés en électrons ou en trous) implantés dans le canal semiconducteur lors de leur fabrication. D’une part, l’augmentation continue de la densité de processeurs et d’unités de mémoire entraîne une escalade vertigineuse de la consommation énergétique. D’autre part, du fait que l’information doive naviguer de façon incessante de la mémoire vers le processeur pour y être traitée, les dispositifs informatiques voient leurs performances limitées par un « mur de la mémoire » : la fréquence d’accès à cette dernière étant bien plus lente que le fonctionnement des processeurs, ceux-ci restent inactifs la plupart du temps, un manque d’optimalité qui représente un enjeu majeur pour des technologies requérant un traitement massif de données telle que l’Intelligence Artificielle.

Un consortium international (CNRS, Université de Strasbourg, Ecole Centrale Lyon, Université Paris-Saclay, Université du Luxembourg, NIMS Japon) mené par l’équipe de Jean-François Dayen, enseignant-chercheur à l'Institut de Physique et Chimie des Matériaux de Strasbourg (IPCMS, Université de Strasbourg / CNRS), avec des scientifiques du Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies (C2N, CNRS / Université Paris-Saclay) vient de publier une preuve de concept d’une nouvelle génération de circuits logiques révolutionnaires. Ces systèmes peuvent en effet à la fois stocker et manipuler de l’information, réunissant en un seul dispositif les fonctions de mémoire et de transistor. De plus, les circuits ferroélectriques peuvent changer de fonctionnalité logique en cours d’exécution, ce qui offre une polyvalence sans précédent et rend possible la conception de circuits intégrés reconfigurables. Un tel tour de force a pu être réalisé en assemblant des couches atomiquement fines qui associent des matériaux ferroélectriques à des couches semiconductrices.

L’architecture du dispositif met en œuvre plusieurs électrodes de grille couplées à une « hétérostructure de van der Waals ». Cette dernière combine plusieurs matériaux ferroélectrique et semiconducteurs traités en couches d’épaisseur atomique. Les matériaux ferroélectriques présentent une polarisation électrique spontanée, qui peut être maintenue sans consommation d’énergie et renversée à l’aide d’impulsions électriques (équivalent électrique d’un matériau ferromagnétique). En exploitant leur architecture multi-grilles, les scientifiques ont réussi à encoder des domaines ferroélectriques distincts, permettant de contrôler l’état de conduction du dispositif en modulant son paysage de potentiel électrostatique. On a donc un unique dispositif qui est susceptible d’assurer à la fois le stockage et la manipulation de l’information au même endroit. Cette polyvalence permet un gain considérable de près de 80 % en compacité de circuit par rapport à une technologie CMOS. 

Cette famille de dispositifs, baptisée Re-FeFET (pour Reconfigurable Ferroelectric Field Effect Transistor), invite à plus grande échelle à réinventer la topologie des circuits imprimés. En effet, comme cela a été démontré par l’Ecole Centrale de Lyon, membre du consortium, différentes fonctions logiques peuvent être réalisées par une même unité de circuit construite uniquement à base de Re-FeFET. Ceci constitue un bond technologique par rapport à l’approche CMOS, où chaque circuit ne peut réaliser qu’une seule et unique fonction, et assure également un niveau de sécurité des circuits bien supérieure.

Un vaste champ d’étude autour de ce type de dispositifs est maintenant ouvert, avec de nombreux enjeux potentiellement prometteurs.  D’une part, il s’agit désormais d’aller vers la réalisation de dispositifs à grande échelle, en s’appuyant sur les avancées récentes de croissance “pleine plaque” de matériaux atomiquement fins dit « van der Waals ». D’autre part, mieux comprendre les mécanismes physiques au cœur de la manipulation des états ferroélectriques de ces nouveaux matériaux permettra d’optimaliser leur utilisation. Enfin, les nombreuses possibilités encore inexplorées permises par les dispositifs reconfigurables font de ces systèmes un candidat de choix dans la course pour une technologie plus sobre, plus sûre et plus performante. Ces résultats sont publiés dans la revue ACS Nano.

Illustration Dayen
Figure : Représentation d'un dispositif ferroélectrique reconfigurable « ReFeFET » (centre), mettant en œuvre une hétérostructure de van der Waals atomiquement fine. En fonction des états ferroélectriques encodés (flèches tricolores) le dispositif peut émuler à volonté différentes fonctions logiques clefs (NOT, AND, OR, XOR, NAND, NOR) nécessaires au traitement de l’information binaire (les courbes de gauche et de droite illustrent des exemples de portes logiques ferroélectriques NOR et XNOR réalisées par un dispositif ReFEFET) (© Jean-François Dayen, IPCMS)

Références

Reconfigurable Multifunctional van der Waals Ferroelectric Devices and Logic CircuitsAnkita Ram, Krishna Maity, Cédric Marchand, Aymen Mahmoudi, Aseem Rajan Kshirsagar, Mohamed Soliman, Takashi Taniguchi, Kenji Watanabe, Bernard Doudin, Abdelkarim Ouerghi, Sven Reichardt, Ian O’Connor et Jean-Francois Dayen, ACS Nano, publié le 21 octobre 2023.
Doi : 10.1021/acsnano.3c07952
Archives ouvertes : HAL

Contact

Jean-François Dayen
Enseignant-chercheur, Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS)
Communication CNRS Physique