Des ions superlourds pour tester l’électrodynamique quantique en champ extrême

Résultat scientifique

L'électrodynamique quantique (QED), la théorie quantique des champs qui décrit l'interaction entre la lumière et la matière, est l'une des pierres angulaires du modèle standard de la physique des particules. De ce fait, elle est probablement la théorie quantique des champs la plus testée expérimentalement. Néanmoins, des mesures récentes très précises du facteur gyromagnétique du muon et de la structure hyperfine du positronium (une paire électron-antiélectron) ont montré des désaccords importants avec les prédictions théoriques, soulignant la nécessité de nouveaux tests complémentaires pour écarter une possible faille dans le modèle standard.

De nouvelles mesures s’avèrent donc souhaitables, en particulier dans le régime des champs extrêmes qui sondent la théorie dans des zones mal connues. Ces régimes se trouvent en utilisant des ions lourds, car les signatures quantiques de l’électromagnétisme y sont considérablement amplifiées par le champ extrêmement puissant dû au noyau fortement chargé. Les valeurs typiques des champs peuvent en effet être de plusieurs ordres de grandeur plus élevées que celles des lasers les plus intenses disponibles aujourd'hui ! Récemment, une collaboration internationale dirigée par un chercheur de l'Institut des Nanosciences de Paris (INSP, CNRS / Sorbonne Université) en collaboration avec leLaboratoire Kastler Brossel (LKB, CNRS / Collège de France / ENS – PSL / Sorbonne Université) a donc réalisé au centre de recherche Helmholtz GSI/FAIR (Darmstadt, Allemagne) un nouveau test de haute précision basé sur la mesure par spectroscopie de rayons X de l'uranium héliumoïde, le système atomique multi-électronique le plus simple et le plus lourd (noyau d’uranium (de charge +92e) entouré de deux électrons (-2e)). L’énergie de la transition d’intérêt a été comparée à l'énergie de transition similaire dans les ions d'uranium lithiumoïde (3 électrons) et bérylliumoïde (4 électrons). La précision obtenue de 37 parties par million a conduit pour la première fois à tester des effets QED d'ordre élevé (à deux boucles) et a établi une nouvelle référence importante pour la théorie dans le régime en champ fort. Cette précision record a ainsi permis de tester la qualité de différents modèles et approximations théoriques développés au cours des dernières décennies. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature.

Illustration Trassinelli
Figure : Illustration des effets QED en champ fort d'un noyau lourd représentés par des diagrammes de Feynman. Plus le nombre de boucles fermées est élevé, plus l'ampleur de la contribution est faible, mais aussi plus difficile à calculer. Les contributions à deux boucles représentent la limite des prédictions théoriques non-perturbatives (par rapport au champ du noyau). L’arrière-plan montre la trace des rayons X de la transition mesurée (© M.Trassinelli, A. Gumberidze, Th. Stöhlker, R. Lötzsch).

Références

Testing quantum electrodynamics in extreme fields using helium-like uranium, R. Loetzsch, H. F. Beyer, L. Duval, U. Spillmann, D. Banaś, P. Dergham, F. M. Kröger, J. Glorius, R. E. Grisenti, M. Guerra, A. Gumberidze, R. Heß, P.-M. Hillenbrand, P. Indelicato, P. Jagodzinski, E. Lamour, B. Lorentz, S. Litvinov, Yu. A. Litvinov,
J. Machado, N. Paul, G. G. Paulus, N. Petridis, J. P. Santos, M. Scheidel, R. S. Sidhu, M. Steck, S. Steydli, K. Szary, S. Trotsenko, I. Uschmann, G. Weber, Th. Stöhlker, M. Trassinelli, Nature, publié le 25 janvier 2024.
Doi : 10.1038/s41586-023-06910-y
Archive ouverte : HAL

Contact

Martino Trassinelli
Chercheur CNRS, Institut des NanoSciences de Paris (INSP)
Communication CNRS Physique