Comment bien « habiller » un atome avec des photons UVX

Résultat scientifique

En utilisant les impulsions lumineuses ultracourtes d'un laser à électrons libres, des physiciens et physiciennes ont pu étudier pour la première fois l’interaction cohérente entre un atome et un photon dans le domaine de l'ultraviolet extrême (UVX). Cela ouvre la voie à l’exploration de phénomènes cohérents dans ce domaine d'énergie de photons extrême, à une longueur d'onde et une échelle de temps jamais atteintes.

Depuis l’explication de l'effet photoélectrique par Einstein en 1905, l'interaction lumière-matière occupe une place centrale en physique fondamentale. À la suite des travaux pionniers de Stanley Autler et Charles Townes (1955), les scientifiques ont compris comment manipuler un système quantique à deux niveaux d’énergie interagissant avec un champ électromagnétique. Dans les décennies suivantes, la description de l'interaction lumière-matière a été transformée par l'approche de Claude Cohen-Tannoudji (1977), qui a introduit la notion d'atome « habillé » d'un champ lumineux. Les états habillés ne sont rien d'autre que la superposition cohérente des états découplés. En présence du champ lumineux oscillant, les deux états quantiques, initialement découplés, deviennent couplés l'un à l'autre. Le développement ultérieur de l'optique quantique a permis des progrès spectaculaires dans la métrologie de précision, l’intrication quantique et les technologies de l'information quantique… Mais ces travaux se limitent aux sources laser allant de l'infrarouge à l'ultra-violet. Restait donc le défi d'étudier l'interaction entre un système à deux niveaux et une impulsion lumineuse unique, à courte longueur d'onde (UVX).

Pour cela, les chercheurs et chercheuses ont utilisé un laser à électrons libres (FEL – Free Electron Laser). Ces très grands instruments fournissent des impulsions de lumière dans le domaine UVX ou des rayons X. Elles sont très intenses et généralement cohérentes, comme celles délivrées par les lasers dans le domaine UV/visible. Les scientifiques ont ainsi pu étudier l'interaction cohérente entre les atomes d'hélium et les impulsions UVX fournies par le FEL de l'installation FERMI à Trieste, en Italie. Le signal de photoélectrons (électrons expulsés hors des atomes par les photons UVX) mesuré montre un doublet Autler-Townes et un croisement évité de niveaux d’énergie, qui sont tous deux des effets bien connus en physique atomique. Le croisement évité est le résultat direct du couplage entre l'état fondamental et l'état excité de l'atome d'hélium via le champ externe. Ces travaux ont été menés par un chercheur et son équipe de l’Institut lumière matière (ILM, CNRS / Univ. Claude Bernard Lyon 1 Villeurbanne), au sein d’une collaboration internationale entre plusieurs scientifiques de France, d'Italie, d'Allemagne et de Suède, dont une équipe de l'Université de Lund qui a fourni notamment un soutien théorique crucial pour l'interprétation des données expérimentales. Ils sont publiés dans la revue Nature.

Sous l'effet de l'impulsion laser UVX intense (1013 – 1014 W/cm2), les populations des deux états liés dans l'atome d'hélium oscillent (oscillations de Rabi; à la fréquence W), créant ainsi un système à deux niveaux d’énergie. Au cours de ces oscillations, la population de chaque niveau peut être suivie par photoionisation (à un photon pour l'état excité, à 2 photons pour l'état fondamental) à l'aide de photons issus de la même impulsion FEL. Les spectres des photoélectrons résultant révèlent la séparation de la résonance du système à deux niveaux couplés au champ en un doublet Autler-Townes, dont les états sont séparés en énergie de W, signature dans le domaine énergétique des oscillations de Rabi dans le domaine temporel. En faisant varier l'énergie des photons de l'impulsion FEL, le spectre de photoélectrons révèle également le croisement évité entre l'état excité et l'état fondamental "habillé" par un photon. Ceci représente une preuve supplémentaire de l’interaction cohérente entre l'atome et l'impulsion cohérente XFEL.

Avec le développement des installations FEL désormais capables de fournir des impulsions lumineuses intenses et cohérentes de très courte longueur d'onde, ces résultats montrent qu'il devient possible de réaliser des expériences impliquant un couplage cohérent entre le champ laser et des cibles multi-électroniques, telles que des molécules et des nano-objets, et, ainsi, d'étudier et de contrôler des processus photo-induits à des échelles de temps ultracourtes.

À gauche : un paquet d'électrons relativistes (en vert) traverse les onduleurs du laser à électrons libres FEL-FERMI. L'oscillation des électrons produit une impulsion XUV cohérente (en violet). L’impulsion pilote les oscillations de Rabi entre deux états 1s2 et 1s4p dans les atomes d'hélium (en jaune). À droite, un spectromètre à temps de vol permet d'analyser en énergie les photoélectrons émis. En montrant le croisement évité entre deux niveaux d'énergie, les spectres de photoélectrons révèlent les effets du couplage entre le système à 2 niveaux de l'atome d'hélium et le champ électromagnétique cohérent de l'impulsion laser.
Figure 1. À gauche : un paquet d'électrons relativistes (en vert) traverse les onduleurs du laser à électrons libres FEL-FERMI. L'oscillation des électrons produit une impulsion XUV cohérente (en violet). L’impulsion pilote les oscillations de Rabi entre deux états 1s2 et 1s4p dans les atomes d'hélium (en jaune). À droite, un spectromètre à temps de vol permet d'analyser en énergie les photoélectrons émis. En montrant le croisement évité entre deux niveaux d'énergie, les spectres de photoélectrons révèlent les effets du couplage entre le système à 2 niveaux de l'atome d'hélium et le champ électromagnétique cohérent de l'impulsion laser.

 

Référence

Observation of Rabi dynamics with a short-wavelength free-electron laser, Nandi S., Olofsson E., Bertolino M. et al, Nature, paru le 18/08/2022.
DOI : 10.1038/s41586-022-04948-y  
Archives ouvertes HAL et arXiv

Contact

Saikat Nandi
Chargé de recherche CNRS, Institut lumière matière
Communication CNRS Physique