Localisation d’Anderson de la lumière en trois dimensions © A. Yamilov, S.E. Skipetrov, T.W. Hughes, M. Minkov, Z. Yu, H. Cao

Cage dorée pour photons !

Résultat scientifique

Plusieurs expériences ont été réalisées depuis 30 ans pour observer la localisation d’Anderson de la lumière dans un milieu désordonné tridimensionnel diélectrique. Des chercheurs montrent par simulations numériques que la localisation d’Anderson n’est en fait pas possible dans ces milieux et suggèrent qu’elle devrait pouvoir s’observer dans un milieu désordonné dont une des composantes est un bon conducteur d’électricité.

La localisation d’Anderson est un phénomène universel qui se produit lorsqu’une onde est diffusée dans un milieu fortement désordonné. Le désordre provoque des effets d’interférence qui bloquent la propagation de l’onde tandis qu’une particule classique pourra toujours traverser le milieu même si sa trajectoire ne sera pas rectiligne et ressemblera à une marche aléatoire. En termes de modes propres de l’équation d’onde, ces derniers deviennent localisés en espace. Ce phénomène est particulièrement intéressant en trois dimensions (3D) car il ne se produit qu’à désordre fort et une transition entre les modes étendus (propagation diffusive, marche aléatoire) et la localisation spatiale (blocage de propagation) peut être observée en augmentant le désordre.

La localisation due au désordre a été découverte par P.W. Anderson en 1958 dans le contexte de transport électronique dans des (semi-)conducteurs à basse température décrit par l’équation de Schrödinger. Les ondes électromagnétiques en général et la lumière en particulier ont été proposées dans les années 1980 comme candidates idéales à son observation grâce à la facilité de créer une situation expérimentale dans laquelle les photons n’interagissent ni entre eux ni avec d’autres quasi-particules comme les phonons par exemple. Mais si des expériences remarquables ont en effet démontré la localisation d’Anderson des ondes électromagnétiques dans les systèmes de basse dimensionalité, les expériences effectuées sur les milieux désordonnés diélectriques 3D ont rencontré des difficultés inattendues et n’ont jamais été conclusives. Le phénomène de transition vers la localisation, qui lui n’existe qu’en 3D, n’a donc jamais été observé pour les ondes électromagnétiques !

Des travaux théoriques récents ont suggéré que les ondes électromagnétiques longitudinales qui peuvent exister grâce à l’hétérogénéité désordonnée du milieu (les ondes électromagnétiques sont transverses dans un milieu homogène) empêchent la localisation d’Anderson de la lumière dans un modèle simplifié de diffuseurs résonnants ponctuels en 3D. Il y aurait donc une raison fondamentale qui empêcherait la localisation de la lumière, au-delà des difficultés expérimentales. Néanmoins, la question concernant la généralité de cette conclusion et de sa pertinence pour les milieux diélectriques utilisés dans les expériences est restée ouverte jusqu’à ce jour.

Dans une étude cosignée par une équipe internationale comprenant un chercheur du Laboratoire de physique & modélisation des milieux condensés (LPMMC, CNRS / Université Grenoble Alpes), des méthodes numériques optimisées ont été utilisées pour obtenir les solutions exactes des équations de Maxwell dans un milieu désordonné composé de sphères diélectriques placées au hasard. L’optimisation et la parallélisation de l’algorithme numérique a permis de simuler des systèmes très grands, composés de plusieurs millions de sphères, avec une résolution spatiale allant jusqu’à une quarantième de la longueur d’onde dans le vide. Les chercheurs ont constaté que le transport optique reste diffusif quels que soient la densité des sphères et leur indice de réfraction, et ont en donc conclu que la localisation d’Anderson des ondes électromagnétiques n’est pas possible dans un milieu diélectrique, au moins lorsque le désordre ne présente aucune corrélation spatiale de longue portée et lorsque le spectre optique n’a pas de bande interdite. Ce résultat confirme le caractère fondamental des échecs des expériences précédentes.

L’absence de la localisation dans les milieux diélectriques est probablement due aux ondes longitudinales, par analogie avec ce qui se passe dans les ensembles de diffuseurs ponctuels. Cette hypothèse a conduit les chercheurs de la collaboration à proposer un système où les champs électriques longitudinaux, confinés à la surface des diffuseurs, se découplent des ondes transverses et ne contribuent pas au transport d’énergie à grande échelle, ce qui peut se réaliser en prenant un ensemble de sphères conductrices (fabriquées en aluminium, argent ou bien en or par exemple). La simulation numérique de ce nouveau système montre des signes clairs de la localisation d’Anderson et de la transition entre un transport diffusif à désordre faible et la localisation à désordre fort. Ce système est donc un candidat potentiel sérieux pour l’observation expérimentale du phénomène, et sortirait la recherche expérimentale d’une impasse où elle s’est retrouvée depuis une dizaine d’années.

Au-delà de son intérêt fondamental, la réalisation expérimentale de la localisation d’Anderson de la lumière en 3D peut donner lieu à plusieurs applications intéressantes. Les modes localisés grâce au désordre peuvent être très efficaces pour faire fonctionner un « laser aléatoire » où la diffusion multiple par le désordre remplace une cavité optique. Les phénomènes non linéaires, tels que la génération des harmoniques optiques par exemple, peuvent être amplifiés grâce au rallongement du temps de séjour de la lumière dans le milieu lorsque le régime de localisation d’Anderson est atteint. Finalement, une phase topologique due à la présence simultanée des modes localisés dans le volume et des modes étendus à la surface d’un milieu – l’« isolant topologique d’Anderson » – pourrait être réalisée pour la lumière en 3D. Ces résultats sont publiés dans Nature Physics.

Illustration Skipetrov
Figure : Localisation d’Anderson de la lumière en trois dimensions :  Dans la simulation numérique, une courte impulsion lumineuse (faisceau vert sur l’image) est envoyée dans un milieu désordonné dense composé de petites sphères conductrices (en gris sur l’image). Noter que le faisceau arrive de l’avant de l’image et perpendiculairement à l’échantillon. Les photons de l’impulsion effectuent une marche aléatoire dans le milieu mais restent confinés par les interférences dans une région de taille finie. Cette situation est très différente de la propagation diffusive ayant lieu à faible concentration de sphères et permettant aux photons d’aller arbitrairement loin dans un temps suffisamment long. La moitié inférieure de l’illustration montre l’échantillon composé de sphères conductrices en gris et l’intensité de l’onde électromagnétique en code couleur. Les sphères sont également présentes dans la moitié haute de l’illustration mais elles ne sont pas montrées pour mieux voir la distribution de l’intensité de l’onde. L’image représente les résultats d’une simulation numérique.

Références

Anderson localization of electromagnetic waves in three dimensions, Alexey Yamilov, Sergey E. Skipetrov, Tyler W. Hughes, Momchil Minkov, Zongfu Yu, Hui Cao, paru le 15/06/2023 dans Nature Physics.
Doi : 10.1038/s41567-023-02091-7
Archive ouverte : arXiv

Contact

Sergey Skipetrov
Directeur de recherche au Laboratoire de physique & modélisation des milieux condensés (LPMMC)
Communication CNRS Physique