Ajuster le degré d’intrication de deux émetteurs quantiques

Résultat scientifique

Le contrôle et la manipulation d’états quantiques intriqués sont cruciaux pour le développement des technologies quantiques. Des physiciens ont réussi à localiser la position de molécules fluorescentes intriquées dans un cristal grâce à une méthode d'imagerie de super-résolution et à piloter leur degré d’intrication au moyen d’un champ électrique.

L'intrication consiste à enchevêtrer les états quantiques de plusieurs objets jusqu’à former des états collectifs où la réalité individuelle de chaque objet disparaît. Une voie prometteuse consiste à coupler des émetteurs de lumière quantiques piégés dans un solide transparent via leurs interactions dipôle optique/dipôle optique cohérentes. La réalisation d’états quantiques intriqués est en soi un défi car elle nécessite de trouver des nano-émetteurs à la fois voisins spatialement à l’échelle nanométrique et quasi-identiques spectralement. Un deuxième défi est de manipuler le degré d’intrication de tels nano-objets emprisonnés de manière rigide dans leur matrice cristalline.
Grâce à une méthode d’imagerie fonctionnant à température cryogénique (2 K) mise au point au laboratoire, des physiciens du Laboratoire photonique, numérique et nanosciences (LP2N, CNRS / Institut d’Optique Graduate School / Université de Bordeaux) ont pu localiser des paires de molécules fluorescentes couplées parmi des millions d’autres isolées. L’une des caractéristiques optiques de ces paires intriquées est l’apparition d’états électroniques superradiant et subradiant, c’est-à-dire avec un taux d’émission de photons respectivement plus fort ou plus faible qu’une molécule isolée. Les chercheurs ont également démontré la possibilité d’ajuster à façon ce degré d’intrication (donc le degré de subradiance et superradiance) à l’aide d’un champ électrique externe qui peut accorder ou désaccorder les résonances optiques des deux émetteurs. Un régime d’intrication maximal a été atteint, avec la production d’états proches d’états de Bell, où l’état subradiant acquiert une longue durée de vie radiative en devenant un état presque noir. Cette possibilité d’intriquer ou désintriquer sur demande les états électroniques ouvre la voie à la réalisation de portes logiques quantiques rapides à l’échelle sub-nanoseconde sur des systèmes quantiques délocalisés. Ces résultats font l’objet d’une publication dans le journal Nature Communications.

La préparation sélective d'états intriqués à longue durée de vie est une étape essentielle pour la réalisation de nombreux schémas d'information quantique et de mémoires quantiques. Or ces états délocalisés obéissent à des règles de sélection optique spécifiques qui nécessitent l’utilisation de stratégies dédiées pour les exciter efficacement. En effet, l'état subradiant pour lequel les dipôles moléculaires oscillent en opposition de phase ne peut être excité avec un champ gaussien utilisé en microscopie confocale traditionnelle. Les chercheurs sont parvenus à exciter sélectivement cet état en mettant en forme un champ laser annulaire dans lequel les deux dipôles ressentent des amplitudes identiques mais des phases opposées. Cette étude est complétée par une analyse nanoscopique en champ lointain d’images optiques super-résolues (sub-longueur d’onde) de paires de molécules intriquées qui ne peuvent être excitées séparément. Ces images présentent des caractéristiques spatiales inédites qui résultent d'interférences quantiques dans les voies d'excitation des émetteurs intriqués et révèlent leurs emplacements exacts.
Outre un fort impact en physique fondamentale, ces travaux apportent des outils expérimentaux et théoriques qui sont fondateurs pour déchiffrer des mécanismes physiques ou biologiques plus complexes régis par le couplage cohérent, comme dans les complexes-antennes impliqués dans la photosynthèse.

(a) Un cristal de naphtalène dopé en molécules de dibenzenthanthrène est placé dans un cryostat sous un objectif de microscope et au-dessus d'un peigne d'électrodes.  (b) Anti-croisement des niveaux électroniques de deux molécules couplées. Le degré d’intrication devient maximal pour une tension électrique de 150 Volts : la résonance de haute énergie (état superradiant) s’élargit tandis que celle de basse énergie (état subradiant) s’affine et s’affaiblit en intensité de fluorescence. Au centre, la transition à deux photons vers l’état où les deux molécules sont excitées apparaît concomitamment.  (c) La différence entre les durées de vie radiatives des états superradiant et subradiant (déclins de fluorescence en bleu et rouge, respectivement) est marquée par rapport à la durée de vie moyenne des molécules isolées (histogramme en gris). Crédit : Jean-Baptiste Trebbia (LP2N)
Figure : (a) Un cristal de naphtalène dopé en molécules de dibenzenthanthrène est placé dans un cryostat sous un objectif de microscope et au-dessus d'un peigne d'électrodes.
(b) Anti-croisement des niveaux électroniques de deux molécules couplées. Le degré d’intrication devient maximal pour une tension électrique de 150 Volts : la résonance de haute énergie (état superradiant) s’élargit tandis que celle de basse énergie (état subradiant) s’affine et s’affaiblit en intensité de fluorescence. Au centre, la transition à deux photons vers l’état où les deux molécules sont excitées apparaît concomitamment.
(c) La différence entre les durées de vie radiatives des états superradiant et subradiant (déclins de fluorescence en bleu et rouge, respectivement) est marquée par rapport à la durée de vie moyenne des molécules isolées (histogramme en gris).
Crédit : Jean-Baptiste Trebbia (LP2N)

 

Référence

Tailoring the superradiant and subradiant nature of two coherently coupled quantum emitters. J.-B. Trebbia, Q. Deplano, P. Tamarat, B. Lounis, Nature Communications, publié le 26 mai 2022.
DOI : 10.1038/s41467-022-30672-2
Archives ouvertes HAL

Contact

Jean-Baptiste Trebbia
Chercheur CNRS, Laboratoire photonique, numérique et nanosciences
Brahim Lounis
Enseignant-chercheur de l'Université de Bordeaux au LP2N
Communication CNRS Physique