Pour bien imbiber un matériau hydrophobe, mieux vaut utiliser une pâte qu’un liquide ordinaire !

Résultat scientifique

En visualisant le passage d’un fluide complexe à travers un maillage hydrophobe, des physiciennes et physiciens ont montré qu’une pâte à base d’eau pénétrait d’une façon bien plus homogène que l’eau, une observation contre-intuitive qui pourrait permettre par exemple de mieux maîtriser l’imbibition forcée de mortier dans les isolants par l’extérieur.

Références :

Capillary and priming pressures control the penetration of yield-stress fluids through non-wetting 2D meshes. Manon Bourgade, Nicolas Bain, Loïc Vanel, Mathieu Leocmach & Catherine Barentin, Soft matter, publié le 26 septembre 2025.
DOI : 10.1039/D5SM00759C
Archive ouverte arXiv

Lorsqu’on met une éponge en contact avec de l’eau, le liquide va spontanément pénétrer par capillarité dans les pores de l’éponge car ceux-ci sont hydrophiles. En revanche, si à la place de l’eau on veut éponger une sauce épaisse, l’imbibition sera plus lente ou même seulement partielle, à cause des propriétés d’écoulement plus complexes du fluide. Il arrive également qu’on veuille faire pénétrer de force un fluide dans un matériau dont les pores ne sont pas spontanément mouillés par le fluide, par exemple pour teindre ou laver un tissu, ou faire coller grâce à un mortier des panneaux de laine minérale hydrophobe utilisés dans l’isolation des bâtiments. Dans ce cas, on sait que les forces capillaires résistent à l’imbibition, et qu’il faut donc appliquer une pression suffisamment haute pour que le fluide commence à pénétrer. 

Dans le cas d’un fluide simple les problèmes ne s’arrêtent pas là : le fluide pénètre de façon très inhomogène, avançant par le chemin le plus facile et évitant complètement la majorité des pores. Au final, seule une toute petite partie du matériau se retrouve effectivement mouillée. Comme dans les applications concrètes de l’imbibition, la plupart des fluides que l’on veut faire pénétrer sont complexes, comprendre comment les propriétés d’écoulement du fluide modifient le comportement d’imbibition forcée représente un enjeu industriel majeur.

Comme dans le cas de l’éponge, on s’attend à ce qu’un fluide complexe résiste plus qu’un fluide simple. Prenons le cas d’un « fluide à seuil », typiquement une pâte qui ne coule que lorsqu’on lui applique une contrainte suffisante, comme du dentifrice ou un mortier frais. Par définition, si un poreux hydrophile est empli d’un tel fluide à seuil, on ne peut avoir d’écoulement que si on applique une pression plus grande qu’une pression seuil. Par voie de conséquence, cet écoulement peut être très inhomogène, avec des zones où la contrainte est faible et qui ne s’écoulent pas du tout. On pourrait ainsi croire que l’imbibition forcée d’un fluide à seuil dans un poreux hydrophobe soit plus difficile qu’avec un fluide simple, pour un résultat encore moins homogène.

Ces recherches ont été menées dans le laboratoire CNRS suivant :

  • Institut lumière matière (ILM, CNRS / Univ. Claude Bernard Lyon 1)

Un groupe de physiciennes et physiciens de l’ILM (Lyon), en collaboration avec Saint Gobain Recherche (Aubervilliers), a battu en brèche ces idées préconçues grâce à des expériences modèles de pénétration d’une pâte à travers un maillage hydrophobe.  Ils ont appliqué une pression pour faire passer un fluide à seuil modèle à base d’eau à travers un maillage hydrophobe (mailles d’environ 100 µm), et ont observé le passage au microscope. En changeant la géométrie du maillage et la contrainte seuil du fluide, ils ont observé que la pression nécessaire pour observer un écoulement est principalement déterminée par les effets capillaires, et très peu par le seuil. Que le fluide ait un seuil ne rend paradoxalement pas la pénétration plus difficile ! 

En revanche, il s’avère que la phénoménologie du passage est complètement changée par le seuil. Que ce soit pour un fluide simple ou un fluide à seuil, ce dernier commence à pénétrer en parallèle dans toutes les mailles. Mais le moindre défaut du maillage - par exemple une maille à peine plus large, ou un défaut d’hydrophobie - permet à la matière de passer préférentiellement dans une maille au détriment des autres. Dans le cas d’un fluide simple, cela mène à une situation instable où le fluide passé à travers ce défaut forme une goutte de plus en plus grosse qui aspire le fluide alentour, vidant ainsi les mailles voisines. Au contraire, dans le cas d’une pâte, l’existence d’un seuil d’écoulement empêche la première maille de prendre le pas sur les autres et de constituer une « route » préférentielle pour l’écoulement du fluide. La situation est donc stabilisée, et le fluide passe de facto en parallèle dans toutes les mailles. Les gouttes passées par des mailles voisines finissent par se toucher et coalescent au-delà du maillage. Ainsi de coalescence en coalescence, on obtient une imbibition forcée homogène. 

Schéma vu de profil et image microscopique vue de face de l’imbibition forcée d’un maillage hydrophobe. Atteindre la pression de passage mène à une situation a priori instable où la première goutte qui passe aspire toutes les autres (encadré en rouge). La présence d’une contrainte seuil apporte une stabilité et donc un passage homogène (encadré en vert) qui permet la coalescence des gouttes de fluide au-delà du maillage.
Schéma vu de profil et image microscopique vue de face de l’imbibition forcée d’un maillage hydrophobe. Atteindre la pression de passage mène à une situation a priori instable où la première goutte qui passe aspire toutes les autres (encadré en rouge). La présence d’une contrainte seuil apporte une stabilité et donc un passage homogène (encadré en vert) qui permet la coalescence des gouttes de fluide au-delà du maillage. Note : les motifs rectangulaires et circulaires dans chacune des mailles sont observés avec tous les fluides, ils dépendent juste de la forme de l'interface (respectivement concave et convexe) et de ce fait renseignent sur le niveau d'avancée de l'interface à travers le maillage. Le cercle en bleu indique la goutte qui passe, et qui fait loupe. Le carré bleu indique une coalescence de de 4 gouttes voisines.

En mettant en équations le critère de stabilisation fourni par l’existence de la contrainte seuil, les chercheurs et chercheuses ont montré en outre que dans une large gamme de paramètres, la pression nécessaire à la pénétration d’un fluide à seuil n’est pas significativement plus élevée que dans le cas d’un fluide simple. Ce travail permet ainsi de rationaliser de nombreuses situations industrielles où il est nécessaire de faire pénétrer une pâte dans un poreux non mouillant : textile, cosmétique, construction, etc. Prendre du recul et comprendre les ingrédients physiques fondamentaux ouvre la porte à des procédés et des technologies plus efficaces, en particulier pour l’isolation des bâtiments. Ce travail est publié dans la revue Soft Matter.
 

Contact

Catherine Barentin
Enseignante-chercheuse de l'Université Claude Bernard Lyon 1 à l'Institut lumière matière (ILM)
Communication CNRS Physique