Comment une avalanche granulaire érode-t-elle les sols ?
Des physiciens ont montré que l’érosion d’un sol par un écoulement granulaire dense peut aboutir à la formation de cascades. Ce phénomène a permis de mettre en évidence le rôle de l’inertie des grains dans ces processus d’érosion.
Dans un éboulement de terrain, l’écoulement d’un mélange dense de blocs de pierre, de cailloux et de grains provoque une érosion importante. Toutefois, contrairement à l’érosion par ruissellement qui provoque cascades, ravines gorges ou bassins, ce phénomène est encore mal compris car l’essentiel des travaux sur le sujet concerne l’écoulement granulaire lui-même, et non pas son effet sur le sol sous-jacent. En s’attaquant à ce problème, des physiciens du laboratoire Surface du Verre et Interfaces (CNRS/Saint-Gobain) viennent de mettre expérimentalement en évidence une instabilité dont l’analyse leur a permis de révéler l’origine des mécanismes de l’érosion. Dans des conditions de haute vitesse et forte pente, au lieu de creuser un lit régulier, les grains façonnent une succession de cascades et de marches dans le sol, analogue granulaire des cascades et bassins torrentiels qui agrémentent les promenades en montagne. La modélisation de ces mesures a mis en évidence le rôle premier de la force d’impact des grains libres qui dévalent la pente dans les phénomènes d’érosion par des écoulements granulaires denses. Ces résultats sont publiés dans la revue Physical Review Letters.
Pour l’écoulement et pour le sol, les physiciens ont utilisé comme matériau granulaire un mélange inhomogène de billes de verre de diamètre compris entre 0,2 mm et 0,4 mm, confiné entre deux plaques de verre distantes d’environ un centimètre. Les billes de l’écoulement sont sèches, tandis que celles du sol sont humides. Ainsi, les ponts d’eau qui relient les billes entre elles jouent le rôle de colle, de la même manière que dans les châteaux de sable. L’ensemble est incliné et alimenté à une extrémité par un flux régulier de billes afin de provoquer un écoulement. Pour des inclinaisons inférieures à 30 degrés, l’écoulement grignote progressivement la surface humide en la laissant parallèle à elle-même. En revanche, lorsque la vitesse des grains augmente, pilotée par la pente et le débit de grains, des marches d’une dizaine de millimètres de haut se développent. Cette instabilité est due à deux phénomènes : le décalage spatial entre les points de pente maximum du sol et la croissance de la vitesse d’érosion avec la vitesse des grains. Il en résulte une érosion accentuée sur la face amont relevée d’une bosse et moindre au sommet de celle-ci, conduisant à sa croissance et, au final, l’apparition d’une succession de cascades séparées par des plateaux, de pente beaucoup plus faible, identique à la pente d’équilibre d’un écoulement sur un tas sec. Comme pour une cascade de torrent, la face abrupte continue de perdre des grains et l’érosion fait reculer les cascades vers l’amont de l’écoulement. La mesure de l’évolution de la hauteur des marches au cours du temps permet de remonter aux mécanismes d’érosion et de montrer que l’échelle de force pertinente pour l’érosion est la force d’impact des grains, et non la force de friction entre l’écoulement et le sol compact. En incluant cette force au modèle habituel décrivant les écoulements granulaires secs, les chercheurs ont retrouvé numériquement l’apparition de l’instabilité et ses caractéristiques. En outre, les physiciens ont montré que le seuil d’instabilité est un nombre de Froude critique (comme pour les rivières). Ce nombre sans dimension compare la vitesse de l’écoulement à la vitesse des ondes de gravité dans ce dernier. Lorsque ces vitesses sont plus lentes que la vitesse des grains, l’écoulement est dit supercritique et n’est plus influencé par les perturbations avales du fond : d’une part l’écoulement ne ralentit plus à l’approche d’une bosse et, d’autre part, il met du temps à accélérer de nouveau proche du sommet. Ces conditions impliquent une érosion non uniforme qui fait croitre les perturbations de hauteur.

© G. Lefebvre et P. Jop, SVI, CNRS/Saint-Gobain
En savoir plus
Interfacial Instability during Granular Erosion
Gautier Lefebvre, Aymeric Merceron et Pierre Jop
Physical Review Letters, le 12 février 2016.
Informations complémentaires